ColloqueA l'initiative de la Fondation Auschwitz de Bruxelles, s'est tenu durant trois jours (23, 24 et 25 mai 2013) un colloque international intitulé :

"Sonderkommandos et Arbeitsjuden.
Les travailleurs forcés de la mort"

auquel j'ai eu l'honneur et le plaisir de participer. A ma connaissance, aucun colloque de ce type n'avait eu lieu encore où que ce soit (n'hésitez pas à me faire un mail si vous pouvez porter un démenti à cette assertion). C'est avec enthousiasme que je me suis rendue en Belgique (d'autant plus que j'ai un a priori formidablement positif sur les Belges !) 

Outre le chaleureux accueil de Philippe Mesnard et Frédéric Crahay -que je remercie volontiers une fois encore- ce fut pour moi l'occasion d'échanges fructueux, de retrouvailles, de découvertes de personnes avec lesquelles je n'avais échangé jusqu'alors que par mail, ou d'autres encore dont j'avais seulement lu les travaux avec intérêt. J'ai regretté l'absence de Sonja Knopp, Andreas Kilian et Frediano Sessi que je souhaitais entendre et avec lesquels j'espérais échanger. Ce furent néanmoins des journées très riches.

Petit clin d'oeil, le nom de l'une des salles où eurent lieu les interventions : Salle Polak

 

Même si chacune des interventions présentait un intérêt évident et nourrissait ensuite des échanges entre les participants, certaines recoupaient plus particulièrement les sujets qui m'occupent.

Pour une présentation globale de ces sujets, nous avons entendu :

- Gideon GREIF, l'historien des prisonniers des Sonderkommandos d'Auschwitz et Birkenau que, à titre personnel, j'apprécie depuis longtemps. Il a étudié ce sujet durant plusieurs dizaines d'années et a rencontré 31 des survivants. De ces entretiens est né le livre Wir weinten tränenlos qui, paru en 1995, a été la première véritable reconnaissance de la parole de ces hommes. Au travers d'une perceptible écoute chaleureuse, il nous y proposait une première appréhension et compréhension détaillées de la réalité des Sonderkommandos.

- mais aussi Jean-François FORGES, co-auteur du Guide historique d'Auschwitz avec Pierre-Jérôme Biscarat, qui nous a rappelé l'indispensable d'un niveau d'exigence maximum lorsqu'on travaille sur ces sujets -ce n'est pas moi qui le contredirai- et l'importance d'une compréhension scientifique (avec l'exemple du fonctionnement des fours des crématoires) pour éviter de regrettables erreurs.

En ce qui concerne les lieux spécifiques d'Auschwitz (Birkenau en l'occurence) :

- nous avons particulièrement écouté Piotr SETKIEWICZ, Directeur du département des recherches au Musée d'Auschwitz, qui n'a eu -comme chacun- qu'une minuscule demi-heure, et nous a présenté des documents d'archives concernant les Bunkers 1 et 2. Ces documents étaient si nombreux et si intéressants que j'aurais volontiers approuvé l'idée qu'on lui accorde deux heures !

Sur les lieux de l'extermination et les Arbeitsjuden, deux intervenants spécifiques :

- Sila CEHRELI, de l'Université de Marmara d'Istanbul, qui a évoqué avec érudition la Résistance juive à Chelmno et dans les camps de Belzec, Sobibor et Treblinka (ouvrage à paraître prochainement dans la collection Entre histoire et mémoire de la Fondation).

- et Peter KLEIN, auteur par ailleurs d'un ouvrage sur le ghetto de Lodz (auquel des pages sont réservées sur le site) nous a proposé une intervention très documentée sur le sujet des Arbeitsjuden de Kulmhof.

Enfin je citerai, pour ce qui est de l'évocation de personnes particulières :  

- Marcello PEZZETTI qui, avec son habituelle verve enthousiaste, a réussi la prouesse de nous faire passer un joli moment (tenant la tristesse à distance) sous forme d'hommage en compagnie du souvenir de Shlomo Venezia, décédé il y a peu (cf le blog du site). 

- et Jean COHEN, dernier intervenant du colloque, qui a évoqué la révolte du 7 octobre au travers du témoignage laissé par son père.

 

Et puis, tout de même, dire quelques mots de ma propre intervention...(vidéo ici) Elle portait sur David Olère, afin de mieux faire connaître son parcours et son oeuvre et, à partir de ce cas particulier, évoquer le cas général de la non-écoute (ou faut-il désormais dire : de la difficulté d'écoute ?) des prisonniers des Sonderkommandos d'Auschwitz et Birkenau.

PPT DO

En effet, artiste reconnu avant-guerre, il n'intéresse plus et tombe dans l'oubli lorsque, à son retour de Birkenau, il n'a plus qu'une volonté, ne donne plus qu'un sens à sa vie : utiliser ses compétences d'artiste pour témoigner de ce qu'il a vu et vécu. Il lui faudra attendre 1980 pour une première grande exposition (en Israël), soit 5 ans avant sa mort et 30 ans après qu'il ait terminé ses dessins à valeur documentaire -évoqués par ailleurs sur les pages du site qui sont consacrées à cet aspect de son oeuvre.

 

Au total, et sauf erreur de ma part, ce sont 20 interventions que ce colloque a proposées durant ces trois journées. Bien entendu, j'aurais voulu que le nombre de spectateurs soit plus important. J'imaginais en particulier que les étudiants en histoire contemporaine seraient représentés mais je n'ai pas eu l'impression que ce soit le cas. Pour le reste, il est certain que des gens, même intéressés, n'étaient pas forcément disponibles. Ce seront donc les vidéos sur le site de la Fondation Auschwitz de Bruxelles et surtout la publication des actes du colloque qui complèteront la mise à disposition pour tous de ces fructueuses journées.  

 

[Page mise en ligne en mai 2013]

Vous trouverez ici des pages présentant des évènements spécifiques liés à la Shoah.
Voici celles qui sont actuellement en ligne :

La "Nuit de cristal" ("Kristallnacht")
[mis en ligne en novembre 2007]
Suscitée par la manifestation et la contre-manifestation du 10 novembre 2007 à Prague, une page d'informations sur la "Kristallnacht" et le rôle du SS Reinhardt Heydrich.

 

L'album de photographies du SS Karl Höcker
[mis en ligne en septembre 2007]
Il s’agit d’une présentation de cet album de photos qui appartenait au SS Obersturmführer Karl Höcker officiant à Auschwitz, assortie de commentaires. Elle complète, d’un point de vue documentaire, la réaction "à chaud" que j’ai postée sur le blog du site à la même date, celle à laquelle cet album a été rendu public par l’USHMM de Washington.

 

 

 

SS Karl Höcker portraitUn album photo a été trouvé après-guerre dans un appartement de Francfort. L’américain qui avait fait cette découverte est mort en été 2007. Il avait apporté cet album -qui était resté secrètement en sa possession- à l’USHMM (United States Holocaust Memorial Museum à Washington) en demandant à rester anonyme. L'album vient d’être rendu public.
Cette information peut être lue un peu partout désormais. Mais elle suscite déjà bon nombre d'interrogations... pourquoi cet homme qui faisait partie des services secrets américains a-t-il gardé cet album par devers lui ? et si longtemps ? Mais je ne ferai ici que renvoyer chacun à ses propres hypothèses sur le sujet.

Karl HÖCKER (ou HOECKER) est né le 11 décembre 1911. Il est entré à la SS en 1933, au NSDAP en 1937. Il a été promu Obersturmführer quand il est devenu l’officier d’ordonnance de Richard BAER, à leur arrivée à Auschwitz en mai 44. Tous deux nés en 1911, ils ont donc 34 ans. Ils vont officier à Auschwitz à partir de cette date et jusqu’en janvier 45, date à laquelle ils s’enfuient ensemble pour l’Allemagne devant l’avancée des Soviétiques et avant l’évacuation des prisonniers du camp. [Pour davantage d’éléments biographiques sur Baer, Hoecker et les autres, cliquer ici : accusés du procès d’Auschwitz à Francfort,].

 

portrait SS Karl Höcker album

 

Cet album photo est donc celui d’un SS d’importance : en tant qu’Obersturmführer (ce qui est équivalent à Lieutenant dans les grades de l’armée Française) et en tant que bras droit voire ami de Baer qui, lui, était alors Sturmbannführer (c'est-à-dire l’équivalent de Commandant) donc clairement son supérieur hiérarchique.

photo SS Baer Hoecker


On les voit ici dans un portrait-studio de photographe qui devait faire la fierté de Höcker. Leur pose est néanmoins très curieuse, chacun regardant dans une direction différente, comme s’il était seul, ne tenant aucun compte de la présence de l’autre. Cette photo donne presque l’impression d’un montage de deux portraits. On notera qu’ils se font photographier avec la casquette sur la tête, ce qui rend bien visible l’insigne de tête de mort («SS Totenkopf »).

Il n’y est pas question de la guerre, dans cet album d’officier SS de premier rang et au premier rang des exactions commises au camp. Encore moins de l’extermination des Juifs. Il contient pourtant 117 photographies, toutes prises durant son service à Auschwitz. Mais rien sur le quotidien du camp, pas la moindre baraque, pas le moindre prisonnier. Höcker aurait pu intituler son album « Photos souvenirs de bons moments ». En effet, pour la plus grande part, il règne dans ces images une ambiance joyeuse et détendue. On connaît bien le "non-dit", ici c’est le règne du non visible qui est pourtant ce que l’on y regarde, effrayé. Sur une photo comme celle-ci par exemple, qu’est-ce qui est donné à voir ?

album photo SS Hoecker groupe pont pluie


Le commentaire manuscrit de Höcker indique qu’une pluie a subitement surpris ce petit groupe. Mais nous, spectateurs des années 2000, savons que ces jeunes gens si joyeux et si bien nourris sont des SS responsables du camp d’Auschwitz, les hommes comme les femmes. Nous avons lu et écouté les témoignages des survivants qui nous disent comment ces joyeux jeunes gens humilient et frappent quotidiennement, comment ils sélectionnent, … La version nazie de Dr Jeckyll et M. Hyde poussée à l’extrême. Ces jeunes gens pleins de vie, ces jeunes femmes élégantes et bien coiffées, ce sont tous des meurtriers.
Et puis cette pluie, qui les surprend et les amuse tant, nous renvoie aux conditions de survie du camp, continuellement dans la boue et sans point d’eau avec les maigres vêtements mouillés qui ne sèchent jamais. Elle nous renvoie aux conditions de travail, en particulier pour les prisonniers auxquels on fait creuser des fossés douze heures par jour, les pieds dans l’eau, chaussés de galoches de bois. Elle nous renvoie aux appels interminables par tous les temps…
Et puis ce petit pont champêtre qu’ils sont entrain de traverser, il enjambe vraisemblablement la Sola dans laquelle passent les cendres des Juifs assassinés dans les chambres à gaz et brûlés au camp…

Beaucoup de photos dans cet album évoquent ainsi les moments de détente entre SS, où pas l’ombre d’une ombre ne passe dans les regards. Ils jouent de la musique, ils partagent la récolte de leur cueillette de myrtilles, ils lézardent au soleil dans des chaises longues, ils boivent tranquillement un verre entre amis :

Photo SS repas 1944 Sanitätdienst


… mais les amis en question ici sont quasiment tous des médecins du camp ou appartiennent au "personnel de santé". Autrement dit, ceux qui, jour après jour, sélectionnent sur la rampe, ceux qui versent le zyklon dans les chambres à gaz, ceux qui regardent par le judas (!) de la porte si "c’est fini" pour donner au garde SS l’ordre d’ouvrir et aux membres des Sonderkommandos celui de vider la pièce parce que d’autres "Stück" attendent, près du bâtiment ou dans la salle de déshabillage…
La photo a vraisemblablement été prise en été 44, lors de l’extermination des Juifs de Hongrie. Plusieurs trains arrivaient chaque jour avec leurs milliers de victimes. De quoi parlent les deux SS sur la droite de l’image ?

Ces photos sont effrayantes d’être anodines.

D’autres thématiques font l’objet de séries de clichés. C’est par exemple le cas de "Favorit", le berger allemand de Höcker.

photo album SS Hoecker chien


C’est aussi la série sur l’entraînement des SS au tir, avec Höcker posant tout fier en pleine action.

photo album SS Hoecker entraînement tir


Ou l’excursion "exotique" pour visiter une mine de charbon (à Jawischowitz ?), toujours Höcker au centre de l'image.

photo album SS Hoecker mine


Et puis quelques unes évoquant les funérailles militaires d’une quinzaine de SS pour lesquelles Höcker écrit „Beisetzung von SS-Kameraden nach einem Terrorangriff" (l’attaque qu'il qualifie de terroriste est une bombe de l’armée de l’air des Etats Unis).

photo album SS Hoecker funérailles


C’est aussi la série de l’inauguration de l’hôpital d'Auschwitz... celui qui est destiné et réservé aux SS, bien entendu, avec ses infirmières en tenue. C'est une occasion supplémentaire pour Höcker de parader auprès des SS les plus hauts gradés et montrer ainsi fièrement son importance.

photo album SS Hoecker inauguration hôpital SS


Ce sont enfin des photographies avec les divers officiers SS portant les plus lourdes responsabilités. Ils sont parfois "en service" et en situation officielle, comme ici :

photo album SS Hoecker avec Baer et Hoess
(Baer, Höß et Höcker)


Mais le plus souvent "en repos" à la "Solahütte" qui a droit également à sa photo :

photo album SS Hoecker Solahuette


Il s’agit d’un endroit destiné au repos des officiers, à l'écart du camp. Il fonctionnait par ailleurs comme récompense pour les SS s’étant illustrés dans le camp, auxquels on accordait alors quelques jours de détente dans ce lieu.

Une autre des particularités de cet album est la présence à plusieurs reprises du sinistrement célèbre "Dr Mengele" :

photo album SS Hoecker avec Baer et Mengele
(Kramer -de 3/4 dos- puis Mengele, Baer, Höcker et ? peut-être l'un des photographes)


Dans tous les cas, cet album peut être considéré comme un "album de famille" au sens où il donne à voir tous les moments plaisants et oblitère totalement le reste (sans oublier qu'interdiction était faite aux SS de photographier une "Aktion", même si certains ont passé outre). Höcker aurait pu le montrer à sa femme et ses enfants... mais peut-être auraient-ils fini par demander "mais alors, c'était quoi, au juste, ton travail au camp d'Auschwitz ?"

Restent différentes questions qui me dérangent.

Qui prenait ces photos pour Höcker, qui en effet y figure toujours en bonne place ? Un "camarade SS" féru de photographie ? (F. Hoessler, photographe de formation, est revenu à Auschwitz en juin 44...) Quoi qu'il en soit, on notera que les cadrages sont toujours "convenables" (à entendre dans le sens : respectant les règles du genre), à une exception près que nous évoquerons plus bas. J'ai lu que deux photographes professionnels auraient pris ces clichés (mais comment pourrait-on le savoir ?) Néanmoins, l'officier SS qui figure à droite sur la photo ci-dessus est également présent sur une autre, vraisemblablement prise à quelques minutes d'intervalle, avec un appareil photo entre les mains.
Mais peut-être se rendaient-ils ainsi la pareille : je te prends en photo, tu me prends en photo...
Tout indique toujours en tous cas que, quelle que soit la situation, les personnages figurant sur les photographies se savent photographiés et acceptent tout à fait ces prises de vues.

Qui sont les deux SS apparaissant à plusieurs reprises sur différents clichés, bien visibles, mais non reconnus jusqu'alors ? Comment est-il possible que personne ne les identifie ? S'ils partageaient les moments amicaux et de détente avec les autres SS de premier plan, il est vraisemblable qu'eux-mêmes aussi étaient des officiers d'importance. Il me semblait que tous les officiers SS ayant sévi à Auschwitz étaient connus nominativement, mais en fait, si leurs noms sont connus, leurs visages ne le sont pas toujours pour autant. Il y a là en tout cas nécessité de recherches !

Et puis cette photo qui m’intrigue beaucoup :

photo album SS Hoecker Pohl à Auschwitz


Il s’agit d’Oswald Pohl, le SS Obergruppenführer (principal organisateur de l’économie des camps de concentration). Il était venu au camp en 40, puis en août 43 -Höcker n’était pas encore à Auschwitz- cette photo a donc été prise lors de la dernière visite de Pohl, le 16 juin 44.
En effet, cette image me parait très étrange parce qu'atypique. Que fait Pohl, seul, dans cet espace dégagé mais néanmoins environné d’arbres ? Pourquoi ce cadrage tout à fait inhabituel dans le reste des photos de l’album ? Il a les jambes "coupées" (on voit néanmoins le haut des bottes de l'uniforme officiel), mais surtout un personnage principal (et d'autant plus lorsqu'il est seul) devrait être "dos au bord de l'image" alors qu'il est ici à l'inverse très près du bord gauche, celui de son regard, avec une inutile place derrière. On peut même imaginer logiquement que cette image aurait dû être faite avec encore plus de soin que les autres, du fait du respect dû au rang, donc aux responsabilités et aux pouvoirs de Pohl. Il est certain que, quel que soit le SS dans le rôle du photographe, il regardait Pohl avec la plus grande déférence. Or il est particulièrement mal photographié. Celui (ceux ?) qui a pris les photographies de cet album a toujours été attentif aux cadrages, même lorsqu'il s'agit de fixer le chien "Favorit" sur la pellicule, qui sans doute était plus mobile que les humains. Alors que se passe-t-il ici ? Quelle autre interprétation imaginer que l'hypothèse suivante : le preneur de vue ne voulait pas que l'on voie (ou n’aurait pas le droit de montrer) ce que Pohl est entrain de regarder, immobile, mains dans les poches, le visage dur. Je ne peux pas m’empêcher de penser que cette photo pourrait bien être la seule prise dans l’enceinte du camp de prisonniers de Birkenau, et qu'ils apparaitraient sur l'image, ces prisonniers que l'ensemble de l'album ne demande qu'à oublier, si le cadrage était décalé vers la gauche. Pohl pourrait bien être devant le Bunker 2 remis en service pour l’extermination des Juifs de Hongrie, déportés en si grand nombre et avec une telle fréquence que les crématoires n’y suffisaient pas.
Certes, ce n’est qu’une hypothèse...

Combien d’autres albums de SS dorment encore dans des greniers poussiéreux ? Combien n’osent pas encore les faire connaître en en faisant don, par exemple au musée d’Auschwitz, ce qui serait leur devoir ? Combien seraient porteurs d’informations de premier ordre ? Combien ne reparaîtront jamais ? Mais sans doute vaut-il mieux aujourd’hui ne songer qu’à tirer le meilleur parti de ces archives apparaissant plus de soixante ans après les faits, plutôt que d’en regretter d’hypothétiques.

[Mise en ligne de cette page en septembre 2007]

Kristallnacht - Nuit de cristalComme je le disais dans mon post sur le blog du site le 11 novembre 2007 ; la veille, le samedi 10, un mouvement néo-nazi avait prévu une manifestation dans le quartier Juif de Prague. Ils étaient quelques centaines qui entendaient ainsi célébrer le jour anniversaire de la «Nuit de Cristal». Face à cette provocation, une contre-manifestation s’est mise en place et a défilé, avec étoiles jaunes ou drapeaux rouges, dans un pays qui n’est pas coutumier de la défense de ses points de vue dans la rue.
Il m’a semblé dans ce contexte qu’une rapide page informative sur la "Kristallnacht" et sur l’un de ses acteurs essentiels (Reinhard Heydrich) pouvait avoir sa place sur ce site.


Reinhard Heydrich, courte biographie.

-
Il est né le 07 mars 1904 à Halle, près de Leipzig dans une famille dévouée à la musique (père chanteur d’opéra, mère pianiste). Hélas il ne suivra pas la trace familiale. Il aura quatre enfants, nés en 33, 34, 39 et 42.
- En 1931 il entre à la SS et Himmler lui confie la création d’un service de sécurité pour le parti nazi : ce sera le SD (Sicherheitsdienst). En juillet 32 il en deviendra officiellement le chef.
- En 1934, les deux comparses organisent la "Nuit des longs couteaux".
- Le 10 novembre 38, Heydrich donne dans un courrier ses informations et exigences quant à la mise en place de la Nuit de Cristal (paragraphe spécifique ci-dessous).
- Après l’invasion de la Pologne (1er septembre 39) Heydrich devient officiellement le bras droit de Himmler au RHSA, le Service central de la sécurité du Reich (Reichsicherheitshauptamt).
- Il forme ensuite les Einsatzgruppen (première formule des assassinats de masse ou "groupes de tueries mobiles", que l’on appelle désormais "la Shoah par balles").
- En septembre 41 il s’installe à Prague et met en place le ghetto de Terezín (Theresienstadt).
- En janvier 42 il organise la Conférence de Wannsee où, le 20 janvier, on évoque la "solution finale".
- En mai 42, Heydrich vient installer le SS Oberg dans ses fonctions (chef des SS et de la police en France) à Paris. Il rencontre à cette occasion Bousquet et Darquier de Pellepoix.
- Le 27 mai 42 Reinhard Heydrich est victime d’un attentat causé par un groupe de Résistants Tchèques mené par Josef Valcik. Il en mourra quelques jours plus tard. En guise de représailles, le village de Lidice, soupçonné d’avoir aidé les Résistants, sera rayé de la carte (tous les hommes de plus de 16 ans seront exécutés sur place, les femmes envoyées à Ravensbrück et les enfants au ghetto de Lodz puis à Chelmno. Le village sera incendié et rasé). Au total, 1800 civils seront assassinés en représailles.
- L ’extermination des Juifs du "Gouvernement Général" (Pologne orientale) dans les camps de Bełżec, Sobibór et Treblinka, est appelée "Aktion Reinhard" en hommage à Heydrich.
- Les SS qui eurent à connaître personnellement Heydrich de près le décrivent comme colérique, ambitieux, cruel et ignorant toute compassion. De même, au procès de Nüremberg, E. Kaltenbrunner (qui a succédé à Heydrich à la direction de la SD) dit de lui "son désir de pouvoir était sans mesure".


La Nuit de Cristal.


On appelle Nuit de Cristal celle où les services de police du Reich ont saccagé, pillé et incendié plus de sept mille magasins appartenant à des familles Juives ainsi que des synagogues, après quoi ces populations ont été arrêtées et déportées (le chiffre de 30.000 déportations est confirmé par l'historien Philippe Burrin). Ces exactions ont été particulièrement massives à Berlin et Vienne ainsi que dans les Sudètes où les communautés Juives étaient importantes.
Dans son Journal à la date du 09 novembre 38 (jour anniversaire du putsch manqué de 1923), Goebbels annonce que ce véritable pogrom d'Etat appelé par les Nazis "Nuit de Cristal" lui a été ordonné par Hitler. Il écrit que les SS et les SA devront être vêtus en civil de telle sorte qu'ils puissent passer pour des "Allemands ordinaires".
Le 10 novembre 38, Heydrich, chef de la police de sécurité et de la SD (der Chef der Sicherheitspolizei und des SD), adresse un courrier urgent à toutes les polices de l’Etat (an die Staatspolizeileitstellen und Staatspolizeistellen) pour l’organisation des "mesures contre les Juifs cette nuit même" (Maßnahmen gegen Juden in der heutigen Nacht).  [Texte de la lettre en anglais ]
Il y précise que les différentes instances doivent prévenir toutes les autorités compétentes à réception du présent  télégramme et veiller à ce que les mesures prises n’endommagent pas les personnes ni les biens des Allemands, en donnant cyniquement comme explication "par exemple on ne pourra brûler une synagogue que si cela ne présente pas de danger pour les environs" (z.B. Synagogenbrände nur, wenn keine Brandgefahr für die Umgebung vorhanden ist) et en insistant plus loin sur le fait que dans les rues marchandes, les magasins n’appartenant pas à des Juifs doivent être bien protégés. Il y expose que les magasins et appartements des Juifs devront être détruits (mais non pillés) et que les Juifs doivent être ensuite arrêtés et envoyés en camps de concentration (Nach Durchführung der Festnahme ist unverzüglich mit den zuständigen Konzentrationslagern […] aufzunehmen.)


Après la Kristallnacht, les autorités Allemandes diront qu’elle fut le fait d’une explosion spontanée de la colère populaire. La responsabilité en est alors attribuée… aux Juifs eux-mêmes ! Outre l’évident intérêt du Reich du point de vue de la propagande, se conjugue un intérêt financier non négligeable : les montants des assurances seront confisqués et viendront enrichir les caisses du Reich.

 

 

[Mise en ligne de cette page le 16 novembre 2007]