Un petit livre étrange, d'abord par son titre : La Zone grise car le titre de l'ouvrage en ialien était Intervista a Primo Levi, ex deportato. En fait, il s'agit de la retranscription des échanges de deux historiens (A. Bravo et F Cereja) avec Primo Levi. Il semble que ce soient eux qui focalisent sur ce thème de la zone grise, et particulièrement Anna Bravo, qui en fait un décryptage -usages et mésusages de la notion- dans sa postface (p 133 à 154). En fait, Primo Levi y revient sur diverses caractéristiques des camps déjà évoqué dans ses principaux livres (s'il n'en fallait lire que deux, Si c'est un homme et Naufragés et rescapés me paraissent être les deux incontournables). Il répond également à des interrogations sur la transmission, à la fois ce qui se transmet consciemment et inconsciemment, mais aussi la transmission orale directe au travers des interventions dans les établissements scolaires en tant que témoin survivant. Primo Levi évoque par ailleurs son rapport négatif aux écrits de Bettelheim, ainsi que les courriers qu'il reçoit et qui le mettent en position archétypale de survivant qui détiendrait "toutes les réponses". Il s'étonne notamment qu'on l'interroge souvent sur des questions ayant trait à la religion, lui qui n'est pas croyant, et se demande s'il faut voir, dans ces questionnements récurrents, une évolution sociétale particulière.
C'est, bien entendu, l'occasion aussi d'évoquer (en quelques phrases) les prisonniers des Sonderkommandos. Même si Primo Levi a écrit par ailleurs que "le jugement sur eux reste suspendu" (in Les Naufragés et les rescapés) on retrouve ici, une fois de plus, une association d'idées effrayante où il relie trois thèmes dans une même continuité de pensée : les hommes qui se comportent comme des monstres / les Sonderkommandos / le peu de suicides dans les camps.
Le principal intérêt de ce livre est sans doute sa publication sous forme de transcription rigoureuse, car l'éditeur précédent avait choisi, pour plus de fluidité à la lecture, de retravailler le texte.
L'entretien (du 27 janvier 1983) est précédé de deux textes : l'un de Carlo Ginzburg, l'autre de Federico Cereja, et postfacé donc par Anna Bravo.
Éditions Payot & Rivages, 2014, ISBN 2-228-91025-5