calligraphie AF Présentation autobiographique :
Je m'appelle Feinsilber / Fajnzylberg Alter, je suis fils de Chaïm et Sara Kobialkowicz. Je suis né le 23 octobre 1910 à Stoczek, district de Lukow, garçon de métier, j'ai habité à Otwok avant mon départ de Pologne, célibataire, sans confession, de nationalité Polonaise. Depuis mon enfance j'ai vécu à Otwok avec mes parents et mes nombreux frères et soeurs. En réalité, sans avoir appris aucun métier, mon père, depuis que j'en ai le souvenir, était toujours malade. Il est actuellement décédé, comme ma mère, tous deux morts à Treblinka. J'avais cinq frères et six soeurs. Je n'ai pas fréquenté l'école, je suis autodidacte et j'ai appris seul à lire et à écrire. Actuellement, je parle 7 langues, c'est-à-dire polonais, français, yiddish, russe, espagnol, tchèque et allemand. À l'âge de 15 ans je suis rentré en apprentissage comme menuisier. Arrêté pour la première fois pour trouble par la police en 1926 lors d'une grève organisée par les syndicats et plus spécialement par le syndicat des menuisiers, j'ai été libéré quelques jours plus tard ; l'affaire a été radiée, le plaignant, un particulier, ne s'étant pas présenté à l'audience. J'ai été arrêté de nouveau le 11 mars, accusé d'aider le parti communiste. Cette affaire a été jugée par le tribunal d'instance de Varsovie qui m'avait condamné à un an d'enfermement en forteresse. Une fois sorti de prison, j'ai été condamné pour la troisième fois pour appartenance au parti communiste. Le juge d'instruction m'a donné injonction de me présenter à la police. Avant même la clôture de l'instruction, j'ai été arrêté pour la quatrième fois le 25 avril 1930, pour activité au sein du parti communiste. Cette affaire a été jugée en même temps que la précédente et j'ai été condamné par le tribunal d'instance de Varsovie à une peine de deux ans de prison ferme et déchu de mes droits pendant 10 ans. J'ai effectué cette peine à la prison de Leczyca. Durant les années qui ont suivi, j'ai été arrêté à de nombreuses reprises pour des raisons politiques mais sans être condamné soit en raison d'amnistie, soit pour d'autres raisons, ce qui fait que j'ai passé en prison cinq ans au total. Après être sorti de cette prison, j'ai travaillé de nouveau comme serveur tout en m'adonnant à mes heures libres, à des activités sociales.

La guerre d'Espagne :
En 1936, au moment de l'éclatement de la guerre civile en Espagne, j'ai commencé mon action de mobilisation pour recruter des gens prêts à partir pour soutenir le gouvernement de Negrin. Début 36, je me suis mis en route pour l'Espagne, en passant par la Tchécoslovaquie, en compagnie de 50 autres camarades. Les trois premières tentatives ayant échoué, je ne suis parti qu'en mai 37, clandestinement et sans papiers, en passant par la Tchécoslovaquie, l'Autriche, la Suisse et la France.
En Espagne, je me suis enrôlé dans la brigade de Jaroslaw Dabrowski, au départ comme simple soldat et ensuite comme délégué politique. C'est en tant que tel que j'ai pris part aux combats au front pendant un an et demi, jusqu'au moment où j'ai été blessé. L'accord conclu par Negrin qui prévoyait de faire évacuer du front tous les combattants internationaux, m'a trouvé à l'hôpital. J'ai de nouveau rejoint le front pour défendre Barcelone qui avait fini par se rendre. Après avoir lutté dans la brigade de Dabrowski, j'ai traversé la frontière Française et déposé les armes. En Espagne, j'ai combattu sous mon propre nom et j'ai obtenu des documents à ce nom.

Les camps en France :
Les autorités françaises nous ont internés dans le camp de Saint-Cyprien. C'était un camp dont trois côtés étaient entourés de barbelés et le quatrième touchait à la mer. Nous avions construit des baraques par nos propres moyens. Les conditions de vie étaient très difficiles, la nourriture mauvaise et en quantité insuffisante. Les Français n'assuraient pas les soins médicaux, ne fournissaient pas de médicaments, nous étions soignés par nos camarades médecins. Nous ne souffrirons pas de la fin grâce à l'aide extérieure de notre organisation. Toutefois, les Français rendaient cette tâche difficile. Je suis arrivé dans ce camp en février 39 et j'y suis resté dans les mêmes conditions plusieurs mois, jusqu'en juillet 39. Il y avait là 5 000 internationaux et 70 000 Espagnols, ces derniers étaient reconduits de force en Espagne. Il y avait des représentants de 43 nationalités dans ce camp. Il a été pris en charge par une commission internationale de la ligue des nations qui avait procédé à l'enregistrement des internationaux. Grâce au soutien et à l'intervention de l'organisation Française, nous, tous les internationaux, avons été transférés avec d'autres groupes du camp de Saint-Cyprien et du camp d'Argelès sur mer dans le camp de illisible. Dans ce camp, resté sous commandement militaire Français, se trouvaient 15 000 internés. Dans l'ensemble, les conditions d'internement étaient supportables. De ce camp, nous avons été déplacés, alors que l'offensive allemande contre la France avait déjà commencé, dans le camp d'Argelès sur mer, cependant que certains groupes ont été transférés dans un camp disciplinaire. Dans ce camp, on nous a affamés, on nous empêchait de faire nos courses, alors que nous avions de l'argent. Après leur capitulation, les Français voulaient nous envoyer de ce camp en Afrique. Craignant d'être employés à la construction de la ligne de chemins de fer transsaharienne, nous nous sommes enfuis, d'après un plan préalablement conçu et la majorité des prisonniers a été transférée en Afrique. Seuls sont restés en France ceux qui, sous un faux nom, comme moi sous le nom de Koskociak, s'étaient enfuis du camp. Les fuyards ont été repris et internés dans des camps spéciaux, similaires aux prisons, où les conditions de détention étaient très dures et où on nous battait fort. Par conséquent, n'ayant d'autre choix, nous nous sommes constitués volontaires pour partir travailler en Allemagne, suivant les conseils de l'organisation. J'en faisais partie. J'ai déclaré être de nationalité espagnole et de confession catholique. J'ai été engagé comme menuisier en France occupée, dans des conditions dites de liberté. J'ai travaillé deux mois et demi avant de fuir. J'y ai été amené car un des internationaux qui me connaissaient, un Polonais passé probablement au service de la Gestapo, menaçait de me dénoncer. Sans papiers, je me suis retrouvé à Paris où j'étais entré en contact avec l'organisation qui m'avait hébergé pendant cinq semaines. Avant d'avoir pu obtenir les papiers promis par l'organisation, j'ai été arrêté comme Juif par la police française et interné au camp de Drancy près de Paris. Pendant 81 jours après mon arrestation, le camp a été surveillé par la police Française. Les conditions d'internement étaient très dures, nous avions une miche de pain pour 7, chaque prisonnier avait un quart de litre de soupe et, deux fois par jour, un quart de litre de café. Les soins médicaux laissaient à désirer, la mortalité était grande, 60 personnes sont mortes ces 81 premiers jours. Après avoir effectué un contrôle, une commission Allemande arrivée sur place, a décidé d'alléger les conditions de détention en nous autorisant à recevoir des colis, du linge, du courrier. D'un autre côté, les Allemands sélectionnaient parmi les internés des otages qu'ils fusillaient ensuite. À deux reprises, j'ai assisté à la sélection des otages dans ce camp : une fois 60 eu une autre 11. Comme ils sélectionnaient en premier lieu les internationaux Espagnols, craignant d'être pris à notre tour, nous sommes portés volontaires pour partir travailler en Allemagne. Nous avons répondu à l'appel des Allemands qui nous promettaient de bonnes conditions de travail et la possibilité de contacts de notre famille. J'ai été transféré, dans un groupe de 100 personnes, au camp de Compiègne. Une fois sur place, les Allemands nous ont annoncé que nous faisions partie des otages, suite aux actes terroristes perpétrés contre les Allemands à Paris. Malgré nos protestations, nous sommes restés trois mois et demi, dans des conditions de détention très difficiles et transférés ensuite, un groupe de 1118 personnes, au camp d'Auschwitz. Je tiens à souligner qu'il existait à Compiègne des camps pour communistes, russes, anglais, américains et juifs. Chaque jeudi, les Allemands sélectionnaient dans leur camp quelques communistes pour les fusiller. Les prisonniers communistes protestaient pour défendre leurs camarades et chantaient des chants révolutionnaires. La population française était bien disposée à l'égard des Juifs. Les Aryens se faisaient apposer dans leurs documents l'inscription "Juif" pour protester contre cette manière de traiter les Juifs. La police Française devait obéir aux ordres Allemands. Les Français ignoraient le sort réservé aux déportés à Auschwitz car, dans le cas contraire, ils se seraient manifestés, j'en suis persuadé, contre ces déportations. On nous a dit, à nous, que nous partions à l'Est pour des travaux durs.

Le trajet jusqu'à Auschwitz :
Le convoi comptait 1 118 personnes, uniquement des Juifs, de tous les pays. On nous a mis dans de petits wagons de marchandises, 50 personnes dans chacun. On nous a distribué deux kilo et demi de pain et environ 250 g de saucisson par personne ; cela devait nous suffire pour tout le voyage qui devait durer environ 12 jours. Pendant le voyage, nous n'avons rien reçu à boire. Cependant, notre transport est arrivé à Auschwitz à peu près cinq jours plus tard. Quand nous sommes arrivés, nombre d'entre nous manquaient à l'appel, car pendant le voyage, beaucoup de personnes étaient mortes, suite aux conditions de voyage difficiles. Je dois souligner que, durant le voyage, aucun soin médical n'a été assuré. Nous sommes arrivés à Auschwitz le 27 mars 1942 vers 10 heures du matin. C'était un transport composé uniquement d'hommes adultes. Au moment de descendre du train, chacun d'entre nous voulait prendre ses paquets, d'environ 25 kilos, poids de bagages par personnes autorisé à être importé de France. Les SS, accompagnés de gros chien, nous ont interdit de prendre nos paquets. Malgré cela, quelques-uns ont réussi à les emporter, rapidement et sans se faire remarquer. Je tiens à mentionner que lorsque les médecins de notre transport se sont adressés aux SS en leur demandant de les autoriser à prendre au moins les médicaments, les SS les ont arrosés de coups de bâton en guise de réponse et ils leur ont même tiré dessus, ce qui fait que quelques-uns ont été tués sur le lieu du débarquement. Après nous avoir fait descendre du train, on nous a dit de nous mettre en rangs par cinq et on nous a fait avancer vers l'intérieur du camp d'Auschwitz. Nous devions aller au pas de marche, vite, on nous y engageait à grand renfort de coups.

Premier jour :
Tout de suite après notre arrivée, on nous a dirigés vers les douches. Devant les douches, on nous ordonnait de nous déshabiller complètement, de mettre toutes nos affaires dans un sac et de signer un registre de remise des affaires. On pouvait juste garder des mouchoirs dans les douches. Nous y avons été soumis à une douche chaude d'environ un quart d'heure. Je tiens à mentionner qu'avant notre départ, encore en France, nous avons été complètement rasés, sur tout le corps, ce que nous avons dû payer trois francs. Après le bain, nous nous sommes rendus dans une autre baraque, éloignée de 20 à 30 mètres, nous avons reçu des vêtements : chemise, caleçon long, sabots, pantalon, veste en toile et calot à rayures. Le pantalon et la veste étaient récupérés sur des prisonniers Russes. Une fois habillés, nous avons été obligés de faire de la gymnastique pendant une heure, menée par un des prisonniers, c'est-à-dire le Blockälteste lui-même. La gymnastique a été très pénible, des plaies se sont formées sur nos pieds à cause des sabots. Pendant la gymnastique, on ne nous battait pas, mais des coups de pieds pleuvaient abondamment, accompagné de cris et de jurons qui nous annonçaient clairement que nous serions morts deux jours plus tard. Après la gymnastique, on nous a conduits dans un bloc non terminé, dépourvu de porte et de fenêtre, où on nous a autorisés à nous allonger jusqu'au soir, à même le sol. Le soir, on nous a donné notre premier repas qui était composé à Auschwitz d'un navet cuit, sans pain. Après le dîner, on nous a conduits au bloc 11 où on nous avait enregistrés tous, ce qui a duré jusqu'au matin. Y compris la photo. À cette occasion, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait dans le camp d'Auschwitz environ 6 000 prisonniers en tout, pour la plupart des Polonais des Allemands et quelques prisonniers Soviétiques. C'étaient tous des hommes, je n'ai pas vu du tout de femmes. Nous en avons déduit que notre transport était le premier en provenance de l'étranger, car tous les prisonniers qui étaient déjà là venaient de Pologne ou du Reich. Après nous avoir photographiés, ce que j'ai raconté auparavant, on a fait rassembler notre convoi tout entier, dont le nombre s'élevait à ce moment-là à environ 1 000 personnes, et les SS, à cheval, nous ont fait courir dans la boue, sur le chemin étroit jusqu'à Birkenau, éloigné d'environ 3 km et demi. Sur le chemin, ils nous arrosaient de coups de matraque, évidemment, en conséquence de quoi certains ont été tués sur le chemin. Des SS, des Blockälteste et des Kapos attendaient l'arrivée de notre transport juste devant l'entrée du camp. Tous tenaient en main des triques ou des matraques en caoutchouc. Tous étaient de nationalité Allemande. Ils nous ont ordonné de franchir le portail du camp en courant. Alors que nous le faisions, ils nous frappaient à coups de matraque sur la tête si fort, que de nombreux avaient déjà été tués près du portail, ceux qui les suivaient étaient obligés de sauter par-dessus en entrant dans le camp.

Le quotidien de Birkenau :
Une fois dans le camp, on a commencé à nous enregistrer et à nous poser des questions sur notre état civil. On ne notait même pas nos réponses. Ensuite, on nous a ordonné de rester dans la cour jusqu'à l'appel à six heures du soir. Après l'appel, nous avons été affectés dans les blocs. Je me suis retrouvé au bloc 13. Pendant l'appel, nous avons vu rentrer du travail un groupe de Juifs. Ils étaient affreusement amaigris, comme qui dirait des ombres humaines ; on les appelait les « musulmans ». Comme je l'ai appris plus tard, on donnait ce nom à des prisonniers qui se traînaient, à bout de force, l'air complètement miséreux. Ils nous ont dit en toute confidentialité qu’ils faisaient partie d'un groupe de 1 200 Juifs Polonais arrivés au camp deux semaine plus tôt. Eux seuls restaient encore en vie, les autres avaient été assassinés au camp. Après l'appel, on nous a donné du café et du pain et ensuite, on nous a chassés dans nos lits. Au dîner, nous aurions dû avoir encore de la margarine, mais nous n'en avions pas eu car nos chefs nous la volaient et la gardaient pour eux. Le réveil a eu lieu le lendemain matin à 3 h 30 et nous avons dû attendre l'appel jusqu'à sept heures du matin. Après l'appel, nous avons eu du café et chacun a été affecté dans un groupe de travail. Ensuite, on nous a chassés en dehors du camp pour travailler jusqu'à midi. À midi, c’était la pause déjeuner. Le déjeuner se composait d'une soupe de navets. Alors que chacun avait droit à 1 litre, nous en avons reçu de ½ à ¾ de litre chacun. Après le déjeuner, retour au travail jusqu'à six heures du soir. Ensuite, retour au camp pour l'appel du soir. Pendant l'appel, des cadavres étaient sortis du Block pour mettre les effectifs au complet. Après l'appel, retour au Block, pour le dîner qui se composait de pain et de café. Nous avons trouvé d'autres cadavres dans le Block. Après le dîner, on nous a chassés au lit. C'est ainsi que se déroulait une journée ordinaire à Birkenau. Je dois ajouter que pendant le travail même, extrêmement dur, on nous battait, jetait dans l'eau, on nous traitait tellement mal que chaque jour, plusieurs cadavres restaient sur le lieu de travail, cadavres que nous devions emporter le soir pour l'appel. Le travail lui-même, conçu pour exploiter la force physique des prisonniers, n'était pas productif. Par exemple, nous déplacions un tas de briques d'un endroit à un autre, et ensuite nous le remettions à son emplacement initial. Dans ces conditions, un certain nombre de prisonniers se jetait contre les barbelés sous tension électrique, préférant mourir plutôt que de mener une telle vie. Les soins médicaux n'étaient d'aucune efficacité car il n'y avait pas de médicaments sur place et si quelqu'un se présentait devant le médecin, celui-ci lui disait ouvertement de retourner au Block s’il voulait rester en vie sinon, une fois déclaré malade, il serait tué au Block.

La hiérarchie interne d'un Block :
Je signale au passage que les Blockälteste profitaient de chaque occasion pour tuer les gens, car plus ils en tuaient, meilleure était leur réputation. Ils étaient donc les premiers à en profiter et tuer les gens qui se portaient malades. J'ai été personnellement témoin d'une conversation entre le Blockführer, un SS, et le Blockälteste, qui était un des prisonniers. En effet, un jour le Blockführer a demandé au Blockälteste combien de cadavres il y avait ce jour-là dans son Block. Quand celui-ci lui a répondu qu'il y en avait 15, le Blockführer déclara : "Das ist zu wenig" (c'est trop peu). Le lendemain, le Blockführer lui a reposé la question du nombre de cadavres. Lorsque le Blockälteste lui a répondu qu'il y en avait ce jour-là 35 dans le Block, le Blockführer lui a répondu : «So ist gut » (comme ça c'est bien). Un SS était le Blockführer de notre Block, un prisonnier Allemand était le Blockälteste du Block, un Polonais son adjoint, et les Sztubowy étaient des Juifs. Le système de pouvoir dans le bloc fonctionnait ainsi que le Blockführer obligeait le Blockälteste à maltraiter les prisonniers, celui-ci obligeait son adjoint, l'adjoint les Sztubowy. Alors ces derniers faisaient tout ce qu'ils pouvaient, au détriment des prisonniers, pour se faire établir une bonne réputation.

Cinq semaines à Birkenau :
J'ai vécu dans ces conditions à Birkenau pendant cinq semaines. À cette époque-là, il n'y avait pas encore de crématoires, les cadavres étaient donc enterrés en masse dans de grandes fosses, spécialement prévues à cet effet et creusées en dehors du camp par des commandos spéciaux. À la fin de ce séjour de cinq semaines à Birkenau, on m'a tatoué sur la poitrine le numéro 27 675. Ce matricule indiquait qu'au moment où on me le tatouait j'étais, dans l'ordre d'arrivée à Birkenau, le prisonnier numéro 27 675. Pendant que j'étais à Birkenau, il arrivait que des spécialistes, et surtout des boulangers et des menuisiers, étaient demandés à Auschwitz. J’ai profité de cette demande de partir au camp d'Auschwitz dans le deuxième groupe de 30 personnes (le premier en comptait 20). Au moment de mon départ de Birkenau, 13 Blocks y étaient construits, dont deux occupés par l'intendance et onze par des prisonniers, tous hommes, Polonais, Russes et Juifs. Je ne connais pas le nombre total de prisonniers à ce moment-là. Je peux juste dire que 500 personnes environ se trouvaient dans un Block. Je dois ajouter ici qu'au moment de mon départ de Birkenau pour Auschwitz seules 250 personnes restaient encore en vie du transport dont j'avais fait partie et qui avait compté, comme je l'ai déjà dit plus tôt, plus de 1 000 personnes. Les autres ont été, toutes, assassinées pendant ces cinq semaines.

A Auschwitz I :
À Auschwitz, on m’a délégué à faire des armoires, des bureaux et d'autres meubles. J'habitais dans le Block 11 qui regroupait tous les Juifs présents alors à Auschwitz et qui étaient au nombre de 50 environ. Se trouvaient aussi dans ce Block des aryens. Dans le bunker de ce Block se trouvait une compagnie pénitentiaire. En plus, dans le même Block, au-dessus de nous, étaient les « libres », c'est-à-dire ceux qui devaient être libérés et étaient en quarantaine dans le camp. Je me souviens que lors de mon affectation à ce travail, fait par ailleurs aussi par des aryens, l'Oberscharführer, un SS, a dit que c'était la première fois dans l'histoire du national-socialisme que des Juifs avaient été autorisés à être présents et à travailler sous le même toit que des Allemands. Dans la cour devant le Block, se trouvait une potence pour deux personnes et le « mur noir » devant lequel on fusillait des prisonniers. Les conditions de vie à Auschwitz étaient dures, mais en comparaison avec celles à Birkenau, on aurait pu considérer le séjour à Auschwitz comme un séjour en pension. J'y suis resté jusqu'en automne 1942, dans le Block 11, mais j'ai passé les cinq premières semaines à l'infirmerie, le Krankenbau. Je peux dire au sujet de l'infirmerie, qu'on n’y faisait pratiquement rien pour soigner les malades et les faire guérir. Et plus particulièrement, on ne soignait pas les Juifs. Souvent des SS arrivaient, sélectionnaient ceux qui allaient moins bien et les transféraient à Birkenau où ils étaient tués et enterrés dans les fosses, comme je l'ai appris plus tard. En novembre 42, s'est présenté à moi l'écrivain de l'Arbeitsdienst, Wiktor, qui m'a demandé si je ne voulais pas travailler comme civil à l'usine Bata, située à 200 km d'Auschwitz. J'ai été d'accord et j'ai été alors conduit en compagnie de neuf autres prisonniers, des Juifs de forte constitution, chez le médecin qui nous a examinés. Trois d'entre nous ont été conduits dans le Blockältestestube et là, j'ai obtenu mon affectation… comme ouvrier préposé au travail dans les crématoires.

Description du K I :
Le crématoire d'Auschwitz était un bâtiment sans étage, long de 50 mètres environ et large de 12 à 15 mètres. Il se composait de cinq salles relativement petites et d'une grande salle, sombre, d'environ 30 mètres sur cinq. Cette grande salle, dépourvue de fenêtres, était munie de deux ventilateurs situés dans le plafond, d'un éclairage électrique, de deux portes, celle d'entrée et une autre menant au four. Cette salle portait le nom de Leichenhalle, salle aux cadavres. Elle servait de remise à cadavres et on y fusillait aussi les prisonniers, ce qu'on appelait la rozwalka. Cette salle était contiguë à une autre où se trouvaient les fours pour brûler les cadavres. Il y en avait trois, chacun pourvu de deux ouvertures. 12 cadavres pouvaient être chargés dans chaque ouverture, mais on en mettait seulement cinq, car de la sorte ils brûlaient mieux. Les cadavres étaient chargés à l'aide de chariots spéciaux qu’on retirait du four une fois les cadavres dedans. Les cadavres étaient sur la grille, sous laquelle brûlait du coke. À part cela, il y avait dans le crématoire une salle servant d'entrepôt de coke, une autre salle, spéciale, remise à cendres humaines et une troisième, un entrepôt de vêtements. Le crématoire était entouré d'une cour, celle-ci séparée du reste du camp par un mur haut de plusieurs mètres. Cette cour, pleine de fleurs, avait l'air d'un jardin.

Les hommes et leurs activités au K I :
De mon temps, le commandant du crématoire était l'Oberscharführer Quakernack du bureau politique. En dehors de lui, y travaillaient d'autres personnes dont je ne me rappelle pas les noms. Le personnel préposé au fonctionnement du crématoire se composait alors du Kapo Polonais de Cracovie, Mietek, d'un écrivain de Lublin, Polonais aussi, matricule 14 916, d'un mécanicien, un Polonais du nom de Waclaw Lipka de Varsovie, matricule 2 520, et de neuf Juifs, simples ouvriers. J'appartenais à ce dernier groupe. En général, nous, les simples ouvriers, étions employés à toutes les tâches qui avaient trait à l'incinération des cadavres, le transport, la mise dans les fours et le nettoyage des cendriers. Les cadavres provenaient du Block 19, on les transportait de là-bas sur des chariots spéciaux tirés par les hommes, jusque dans la remise à cadavres ou on les entreposait. De là, nous les mettions dans les fours. À part cela, deux à trois fois par semaine, avait lieu une rozwalka dans cette même salle : on y amenait des groupes de gens plus ou moins importants, tout au plus de 250 personnes, hommes, femmes de tous âges, qui, déshabillés auparavant, y étaient fusillés. Ces personnes étaient en général extérieures au camp, c'est-à-dire qu'elle ne faisaient pas partie des détenus d'Auschwitz, elles avaient été arrêtées par la Gestapo dans différentes localités et amenées là pour être fusillées et n'étaient pas portées sur le registre du camp. Dans de rares cas, la rozwalka s'appliquait aux prisonniers d'Auschwitz. Je tiens à souligner que ce Quakernack procédait lui-même à ces exécutions. Lors de ces exécutions, ce Quakernack convoquait tous les Juifs dans l'entrepôt de coke et le faisait en présence de tous les Polonais et les Allemands travaillant aux crématoires. Comme l'entrepôt était éloigné à peine d'une dizaine de mètres, nous les Juifs, nous entendions les coups, les corps qui tombaient, les gens qui criaient. J'ai entendu moi-même les gens crier qu'ils étaient innocents, les enfants hurlaient, et Quakernack leur répondait : « les nôtres sont plus nombreux à tomber au front. » Ensuite, on nous faisait venir dans la salle où avaient eu lieu ces exécutions et nous, les Juifs, nous sortions de là les cadavres, encore chauds et couverts de sang, pour les mettre dans les fours crématoires. Toutes les heures, nous sortions une trentaine de corps humains. Quakernack se tenait là, debout, l’arme à la main, taché et dégoulinant de sang. Outre Quakernack, le Lagerführer d'Auschwitz et le commandant accompagnés de illisible assistaient à ce genre d'exécution, illisible Wacek Lipka, ce Jozek, et Mietek que j'ai déjà mentionné, arrachaient aux victimes leurs dents en or.

Différentes situations :
Chaque semaine, on fusillait près des fours de 10 à 15 Russes, des prisonniers de guerre qui avaient été enfermés dans le Bunker du Block 2 pendant quelques jours précédant l'exécution. Ils n'étaient enregistrés nulle part, n'étaient pas portés sur le registre du camp. Leur nombre serait donc impossible à estimer, même avec l'aide de leurs papiers d'identité. J'ai observé de mes propres yeux ces fusillades pendant un an à Auschwitz. Cela sera produisit ensuite à Birkenau, mais là-bas, on fusillait davantage de prisonniers de guerre russes par semaine. Chaque semaine, on amenait du Block 10 au crématoire des corps de femmes découpés. On amenait aussi de ce Block des corps d'enfants découpés. Ce Block était un laboratoire de recherche où on procédait à des expérimentations sur les femmes et les enfants. Dans ce Block, on faisait aussi des injections mortelles. On tuait de la sorte des centaines d'hommes chaque semaine. Les corps des gens assassinés de cette manière parvenaient au crématoire en transitant par l'infirmerie du bloc 13. Tuer par injection était une méthode connue dans tout le camp, on l'utilisait surtout pour les Juifs transférés du bloc 10 au Krankenbau [infirmerie des prisonniers]. La situation en est arrivée, pour les Juifs, même sérieusement malades, au point qu'ils ne voulaient pas aller au Krankenbau par crainte d'y être « piqués ». À part cela, chaque vendredi, on acheminait pour les faire brûler au crématoire, une quinzaine de corps de gens pendus ou décapités en dehors du camp. Je précise que les femmes enceintes étaient fusillées dès leur arrivée au camp. Si la grossesse n’était pas diagnostiquée, la mère pouvait accoucher, mais en cachette, et devait perdre bien sur son bébé, sinon elle perdrait la vie avec lui. Il existait dans le camp le Block 13, dit "Krankenbau Juif", situé à l'époque en face du Block 22. C’était un bloc fermé, nous n'y avions pas accès et nous n'avons pas connu les Kapos qui y travaillaient. On transférait dans ce Block 13 des Juifs malades des autres Blocks. J'ai entendu dire qu'on ne leur donnait pas à manger, on les enfermait, on les battait, on ne les soignait pas, et ils mouraient tous. Nul ne sortait vivant du "Krankenbau Juif".

Le gazage d'un Sonderkommando fin 1942 :
Je me rappelle qu'à cette époque-là, c'est-à-dire fin 42, les chambres à gaz n'existaient pas encore à Auschwitz. Le seul gazage dont j'ai eu alors connaissance, a eu lieu en novembre ou décembre 42. On a gazé à cette occasion 380 et quelques personnes, des Juifs uniquement, toutes nationalités confondues, qui travaillaient au Sonderkommando de Birkenau. Le gazage s'est déroulé alors dans la Leichenhalle et dans différents WC. Quant au gazage de ce Sonderkommando, je peux apporter des détails, ce qui relève de ma propre expérience, que voici : alors que je travaillais déjà au crématoire, nous avons reçu l'ordre de vider la Leichenhalle, celle-ci étant nécessaire pour recevoir un convoi plus important. Comme il y avait beaucoup de corps à la morgue, nous avons travaillé deux jours et deux nuits jusqu'à avoir incinéré tous les corps. Je me souviens, une fois la morgue vidée, c'était un mercredi, vers 11 heures du matin, ce groupe de 380 et quelques prisonniers a été amené dans la cour, sous une forte escorte de SS : deux SS pour cinq prisonniers. On nous a ordonné, à nous les Juifs, de sortir de la morgue et d'aller dans l'entrepôt de coke. Lorsque, quelques temps après, on nous a autorisés à sortir dans la cour, nous y avons trouvé seulement les vêtements de ces prisonniers. Ensuite on nous a dit d'aller dans la Leichenhalle où se trouvaient tous les corps. Après avoir relevé les matricules des gazés, on nous a ordonné de transporter les corps dans les fours, travail que nous avons fait pendant deux jours. Je fais remarquer que les Juifs qui travaillaient au crématoire habitaient dans le Bunker appelé « Salle 13 » du Block 11. Ils n'avaient pas le droit de communiquer avec les autres prisonniers et ils étaient conduits au travail sous escorte, à cinq heures du matin. Le travail durait d'habitude jusqu'à sept heures du soir, avec une pause déjeuner d'un quart d'heure. Nous mangions notre repas, modeste et insuffisant, assis sur un banc à côté de la remise à cendres. Les Polonais qui travaillaient au crématoire dormaient dans le Block commun, le 15, et avaient la possibilité de communiquer avec les autres prisonniers.

Le Sonderkommando à Birkenau en 1943 :
À Birkenau, on effectua les gazages, au début, dans les Bunkers et on brûlait les cadavres dans les fosses. Ces Bunkers étaient camouflés dans des maisons paysannes ordinaires. Le Bunker 1 était situé dans un champ, à droite, et le Bunker 2 à gauche. Les crématoires ont été ouverts à Birkenau en février 43 et c'est alors que notre Kapo, Mietek [Mieczysław Morawa, Polonais non Juif], a été transféré d'Auschwitz comme spécialiste pour faire brûler les corps. C'était un garçon de 19 ans, un étudiant. Je ne sais pas ce qu'il étudiait, il était difficile de connaître des détails de sa vie, car il était inabordable et de toutes façons, nous avions peur de lui parler.
J'ai été affecté au crématoire 4 à Birkenau [c'est à dire le KV. Le témoin utilise les appellations 1,2,3 et 4 pour les crématoires de Birkenau et non K II, III, IV et V], avec six autres Juifs et deux Polonais, en juillet 43. Mietek était Kapo au crématoire 3. Il existait déjà à l'époque quatre crématoires à Birkenau. Les crématoires 1 et 2 [donc K II et K III], de 5 fours chacun pour 5 000 cadavres, et les crématoires 4 et 5 de 2 fours chacun pour 3 000 cadavres brûlés par jour. On pouvait brûler au total environ 8 000 corps par jour dans ces quatre crématoires. Deux relèves y travaillaient, la première de sept heures du matin à cinq heures du soir et la deuxième de cinq heures du soir à sept heures du matin. À Birkenau, nous avons été placés dans le Block 13 du Lager D. Les Polonais ont été placés dans le Block 2 du Lager D. Le Block 13 était un Block fermé, il était interdit d'en sortir, il avait sa propre infirmerie : toute la semaine, on y sélectionnait 20 personnes pour les injections. Au total, il y avait là 2 395 personnes qui, à cause de la sélection, changeaient tout le temps. Les effectifs du Block 13 étaient répartis dans les groupes de travail suivants : le commando des crématoires 1 et 2 se composait de 100 prisonniers et plus, et le commando des crématoires 3 et 4 se composait de 60 prisonniers. Au départ, ce Sonderkommando travaillait au démontage des maisons et par la suite, aux fosses creusées spécialement pour y faire brûler les Juifs hongrois. Le SS Untersturmführer Hoessler était le commandant de ce Sonderkommando. L'Oberscharführer illisible était le commandant de l'ensemble des crématoires à Birkenau. Outre cela, d'autres SS y travaillaient : Kurschuss, Steinberg, Keller, le Volksdeutsch de Lodz Kell, le Scharführer Buch, l'Oberscharführer de Lublin et l'Unterscharführer Zajc, lui aussi de là-bas, de Majdanek, et l'Oberscharführer Moll [pour des biographies de SS ayant officié à Auschwitz et Birkenau, voir ici]. À l'arrivée des convois, assistaient toujours le Lagerführer Schwarzhüber, le Lagerkommandant dont je ne sais pas le nom, un Allemand qui était médecin du camp et d'autres du bureau politique dont je ne connais pas les noms.

L'arrivée des victimes à Birkenau :
Au début, on acheminait les prisonniers en camion de la gare d’Auschwitz à Birkenau. À la gare, on leur disait que ceux qui étaient faibles ou malades pouvaient prendre place dans un camion pour être conduits au camp. De nombreuses personnes l'ont cru, souvent jeunes et en bonne santé. Tous ceux qui étaient amenés là en camion passaient à la chambre à gaz. De plus, on sélectionnait dans chaque transport des gens âgés, des femmes enceintes et des enfants et on les faisait aussi passer à la chambre à gaz. 50 % des gens de chaque transport étaient gazés. À cette époque-là, arrivaient des transports de Juifs grecs (environ 50 000), des Français toutes les deux semaines (environ 1000 personnes en provenance du fameux camp de Drancy en France), des Belges, des Hollandais (environ 15 000), des Allemands, des Italiens (environ 20 000), et d'importants transports de Juifs slovaques et polonais. Je me souviens d'une semaine où 35 000 Juifs de Katowice, Bedzin et Sosnowiec ont été passés à la chambre à gaz. Des Juifs de Cracovie y passaient aussi. Les Juifs de Theresienstadt n'y allaient pas directement. On les plaçait dans le camp juif des familles et on les a tous gazés exactement six mois après leur arrivée dans le camp. Le premier transport en provenance de Theresienstadt comptait environ 3 500 personnes, toutes gazées et brûlées dans le crématoire 1. À part cela, on gazait et on brûlait à Birkenau de petits groupes de Polonais, arrêtés pour appartenance à des organisations politiques. Je me souviens d'un groupe de 250 personnes appartenant à Zwiazek Walki Zbrojnej, dirigé par Ela, dont je ne connaissais pas le nom. Je signale au passage que toutes ces personnes étaient brûlées sans avoir été enregistrées. On n’enregistrait donc pas tous ceux qui arrivaient à Birkenau pour passer directement à la chambre à gaz, c'est-à-dire des vieux, des femmes et surtout des enfants, et tous ceux qui se faisaient passer pour malades. Dans tous les cas, le nombre de non enregistrés brûlés dans les fours dépassait de loin celui des internés immatriculés. Parmi ces derniers, seuls passaient à la chambre à gaz des sélectionnés. Le nombre de gens brûlés et non enregistrés s'élève à plusieurs millions.

Une rébellion de femmes :
Fin 44 début 45 [il est probable que l'évenement relaté se soit déroulé courant octobre] en plein hiver, est arrivé à Birkenau un convoi de citoyens Américains de Varsovie, au nombre de 1.750 personnes. Il a été dit à ces gens qu'ils partaient pour la Suisse. Une fois à Birkenau, ils demandaient aux prisonniers du commando "Kanada" pourquoi on les avait fait venir là, ce qui les attendait. Comme ils devaient être tous assassinés, ils demandaient aux prisonniers du "Kanada" de les aider, car eux-mêmes possédant des armes, ils pourraient se libérer ensemble. Toutefois, les prisonniers du "Kanada" ne leur ont fourni aucune information. Le transport entier a été acheminé devant les crématoires 1 et 2. Là, quelqu'un leur a annoncé leur mort, une femme a arraché à Quakernack son arme et elle a tué le Rapportführer Schillinger. Les autres femmes se sont jetées sur les SS, avec ce qu'elles avaient ou ce qui leur tombait sous la main. Les SS ont réclamé des renforts, bientôt arrivés. La plupart des gens du transport a été tuée par armes ou grenades, les autres ont été gazés dans le crématoire 2 et les corps brûlés dans les crématoires 1 et 2.
Je me souviens aussi d'un prisonnier de guerre russe qui, sachant qu'il allait être fusillé avec ses quatre compagnons, a arraché sa carabine à un SS, mais il n'a pas eu le temps de l'utiliser, ayant été immobilisé avant.

Les gazages en masse des Juifs de Hongrie :
En juillet 44 me semble-t-il, est arrivé le premier convoi de Hongrois. C'était le premier transport acheminé dans les wagons jusque devant les crématoires dans la voie de garage, spécialement construite à cet effet. Le débarquement avait lieu en face des crématoires 1 et 2, à peu près au milieu du chemin vers l'entrée du camp des femmes, entre les camps C et D. A cette époque-là, on assassinait à Birkenau en moyenne 18.000 Hongrois par jour. Des convois arrivaient en continu tout au long des journées, environ 30 % des gens étaient sélectionnés et mis dans le camp. Ceux-là étaient enregistrés dans les séries A et B [voir la page sur les tatouages], et les autres étaient tous gazés et incinérés dans les fours crématoires. Les jours où le nombre de gens à gazer était insuffisant, on fusillait des prisonniers et on les brûlait dans les fosses. Il était de coutume d'utiliser la chambre à gaz seulement pour des groupes de plus de 200 personnes. Au-dessous du nombre de 200, ça ne valait pas la peine de les faire fonctionner.

Témoignage sur le SS Otto Moll :
Parfois, certains prisonniers se défendaient avant d'être fusillés, ou des enfants pleuraient. Alors l'Oberscharführer Moll les jetait dans les fosses, vivants, dans le feu. De mes propres yeux, j'ai vu les scènes suivantes : Moll a ordonné à une femme nue de s'asseoir sur des corps, près de la fosse, et alors qu'il tirait des coups sur les gens et les jetait ensuite dans le feu, il a ordonné à cette femme de sauter et de chanter. Elle le faisait bien sûr, dans l'espoir de sauver peut-être sa vie. Après avoir tué tous ces gens, Moll a tué aussi cette femme qu’on avait brûlée par la suite. Une autre fois, Moll a trouvé sur un jeune garçon de notre groupe quelques bagues et une montre. Il a retenu ce garçon au crématoire. Ils l’ont mis vivant dans le four, ils y ont fait brûler du papier, puis ils l'ont sorti du four, l'ont fait suspendre par les bras, l'ont interrogé et torturé pour savoir d'où il sortait ces objets trouvés sur lui. Bien entendu, il a tout avoué : il a dénoncé le prisonnier qui les lui avait donnés. Il a été ensuite arrosé d'essence jusqu'à la taille, le feu y a été mis et on lui a ordonné de courir jusqu'aux barbelés et là il a été fusillé.

Effectif des Sonderkommandos :
Étant donné le surcroît de travail à partir du moment où les convois hongrois ont commencé à arriver, les effectifs de notre groupe ont été augmentés jusqu'à 900 personnes. Comme je l'ai déjà mentionné, ce groupe, qui comptait au départ environ 400 personnes, a diminué de moitié car 200 prisonniers environ ont été envoyés à Majdanek début 44, suite à une tentative de fuite, non réussie d'ailleurs, de l'un des prisonniers de ce groupe. Ce prisonnier a été tué, avec quatre autres, à 7 km en dehors du camp. Comme punition, 200 prisonniers ont été sélectionnés. On leur a annoncé qu'ils partiraient comme spécialistes au camp de Majdanek. Il s'est avéré qu'une fois à Majdanek ces gens avaient été fusillés et brûlés ensuite.

Une arrivée de Majdanek :
Début 44, est arrivé de Majdanek à Birkenau un transport de 300 Juives polonaises, 19 prisonniers de guerre russes et un prisonnier allemand : « le Kapo de Majdanek ». Les hommes, placés dans le Block 13, ont été affectés au Sonderkommando pour travailler dans les crématoires. Ces 300 femmes ont été retenues pendant trois jours dans le « Sauna », c'est-à-dire les douches, avant d'être conduites dans les crématoires où, la nuit, elles avaient été fusillées et brûlées. J'ai appris ce fait, à savoir que toutes ces Juives ont été fusillées et brûlées, directement de mes coéquipiers du Sonderkommando qui, étant de garde cette nuit-là, avait été témoins de la fusillade et ont dû par la suite incinérer les cadavres. Il est évident que ce convoi de Juives fusillées n'a été enregistré nulle part.

Particularités du camp des Tziganes :
Avant mon affectation à Birkenau pour le travail aux crématoires, un camp pour Tziganes, dit Lager E, a été créé. C'était un camp où avaient été regroupés des Tziganes de différents pays. Ils étaient plus d'une dizaine de milliers, des hommes avec leurs femmes et leurs enfants s'y trouvaient. Ils étaient enregistrés en tant que groupe spécifique de Tziganes et avaient une numérotation séparée : à côté du numéro tatoué, ils avaient une lettre, la même que celles qu’ils portaient sur leurs vêtements. Ils avaient leurs habits civils, leurs propres draps, leur argent et leurs bijoux qu'on ne leur avait pas confisqués. Ils avaient aussi dans leur camp la « Kantine » où ils pouvaient acheter des cigarettes, de la bière, du savon, de l'eau gazeuse, des oignons et des gâteaux, à des prix intentionnellement très élevés. Le chef de la Kantine était un Allemand et le service était assuré par un prisonnier Tzigane. On ne pouvait s'y procurer aucune autre nourriture en dehors de ces gâteaux. Pendant longtemps, tant qu'ils avaient de l'argent, les Tziganes se sont approvisionnés à la Kantine. Quand l'argent en est venu à leur manquer, ils souffraient de la faim comme tous les autres prisonniers. Il est clair que l'accès au camp des Tziganes était interdit aux autres prisonniers. Malgré cela, on pouvait y entrer grâce à un pot-de-vin spécial donné à un SS, le Blockführer. Des prisonniers qui avaient les moyens de payer ce pot-de-vin, qui était un paquet de cigarettes, pouvaient entrer, avec son accord, dans ce camp où ils avaient des rapports avec les femmes Tziganes qui, affamées, le faisaient pour quelques cigarettes ou autres menues choses. Les maris ou les pères de ces Tziganes, eux-mêmes affamés, voulant en profiter aussi, les laissaient faire. En règle générale, les Tziganes n'étaient pas employés à l'extérieur du camp, ils travaillaient seulement à l'intérieur du camp Tzigane. Leur vie n'était toutefois en rien plus supportable que celle des autres prisonniers, surtout à partir du moment où ils n'avaient plus d'argent. On les traitait aussi brutalement que les autres prisonniers. Ainsi, tous les jours, une centaine de personnes mouraient, dont 60 % étaient des enfants, de faim ou de coups. Par conséquent, il ne restait plus que 3.000 personnes, tout au plus, dans le camp Tzigane au printemps 44. C'est alors que les Allemands ont supprimé tous les Tziganes qui restaient en les gazant. Voici comment cela s'est passé.

Liquidation du camp des Tziganes :
Dans un premier temps, les autorités du camp ont proclamé que tous ceux qui étaient aptes au travail pouvaient se constituer volontaires pour aller travailler en dehors d'Auschwitz. Lorsqu'une partie d'entre eux s’est effectivement présentée, ils ont été embarqués dans les camions et transportés au camp d'Auschwitz. Quelques jours plus tard, les prisonniers restants ont été regroupés devant le crématoire de Birkenau (c'était le crématoires 4). Au même moment, ont été ramenés tous ceux qui, quelques jours plus tôt, étaient partis à Auschwitz. Tous ensemble, une fois déshabillés, ont été entassés dans les salles du crématoire, y ont été gazés, et brûlés ensuite dans les fosses, à côté de ce crématoire car, à cette époque-là, les foyers du crématoire 4 ne fonctionnaient pas. J'ai assisté personnellement, avec les autres membres du Sonderkommando, à ce gazage des Tziganes.

Les prisonniers de Theresienstadt :
À la même période où on gaza les transports de Juifs hongrois, c'est-à-dire à la fin de la guerre, au début de l'été 44, des Juifs de Lodz [pour l'histoire de Lodz et son ghetto, voir ici], environ 50 à 60.000, et des Juifs de Theresienstadt, environ 30.000, ont été gazés aussi. Cela s'est passé de la manière suivante : on a annoncé aux membres de notre Sonderkommando que d'importants transports de « matière première » allaient arriver, c'est-à-dire des gens destinés au gazage. Peu de temps après cette annonce, des convois de 1.000 à 2.000 personnes ont commencé à arriver de Theresienstadt et, tout aussi nombreux, de Lodz. Après le déchargement, une toute petite partie était destinée au camp, les autres étaient transportés directement aux crématoires et, sans être enregistrés, ils étaient gazés et incinérés soit dans les fours, soit dans les fosses. Comme je travaillais aux crématoires à ce moment-là j'ai donc eu la possibilité de compter les gens incinérés, j'ai ainsi pu établir ce chiffre des Juifs brûlés de Theresienstadt et de Lodz. À ce chiffre, j'ai additionné celui fourni par mes collègues du Sonderkommando appartenant à la deuxième relève. Je mentionnerai ici un fait que j'ai oublié de préciser auparavant et qui concerne le nombre de Juifs des convois de Hongrie. Celui-ci s'élevait à plus de 500.000 personnes.

Tentative d'évaluation du nombre de victimes :
Les crématoires à Birkenau ont fonctionné du début 43 à l'automne 44. Je suis arrivé à Birkenau en été 43. J'ai été affecté, avec sept autres prisonniers, au Sonderkommando qui, existant déjà avant la création des crématoires à Birkenau, était employé à l'incinération des corps dans des fosses spéciales, dites des Bunkers 1 et 2. Mes propres observations et les conversations que j'ai eues avec les autres prisonniers de ce Sonderkommando m'amènent à la conclusion que, pendant la période de l'existence de ce commando, soit deux ans, pas moins de 2 millions de personnes avaient été brûlées dans les crématoires et les fosses de Birkenau. Ce chiffre n'inclut pas les gens brûlés à Birkenau par différents commandos qui avaient existé auparavant et qui, liquidés par les SS, ne pouvaient nous fournir aucune information au sujet du nombre de gens brûlés pendant la période de leur existence. Je dois souligner ici que seules étaient portées sur le registre des prisonniers, et donc portaient un numéro, les personnes destinées à effectuer des travaux divers. En revanche, n'étaient portés sur aucun état du camp, ni ne portaient de numéro, tous ceux qui passaient directement des convois à la chambre à gaz ou ceux qui, pour une raison quelconque, n'étaient pas supprimés tout de suite et, destinés à être brûlés, attendaient leur tour dans des endroits isolés, spécialement prévus à cet effet.

Le camp "Mexico" :
Le camp appelé « Mexico » en était un exemple. Construit à la fin de l'année 43 pour accueillir des Anglais ou des Américains, il n'a jamais vu ni Anglais ni Américains mais des femmes et des enfants Juifs des convois hongrois. Ils y étaient amenés pendant que la plus grosse partie de ces convois de Hongrie passaient directement aux crématoires. Ces femmes juives et leurs enfants n'étaient affectés à aucun travail, mais restaient là, presque sans nourriture, dans des vêtements minables, sans couvertures, enfermés pendant plusieurs mois dans les baraquements non terminés du camp Mexico. Dans ces conditions, ces gens mouraient en masse et leurs cadavres étaient transportés aux crématoires. On y amenait aussi ceux qu'on appelait parmi eux les « musulmans » et qui étaient des cadavres vivants. S'il arrivait qu'un enfant naisse dans ce camp, on l'emportait aux crématoires, on le jetait, comme une pierre, et on le fusillait. Ainsi la plupart des habitants du camp Mexico ont-ils été supprimés petit à petit et une partie a été emmenée quelque part, en dehors d'Auschwitz.

Obtempérer ou disparaître :
Je dois dire ici que, dans le camp tzigane dont je viens de parler, la surveillance médicale était assurée par des médecins juifs. Après avoir fait gazer tous ces gens du camp tzigane, les autorités du camp de Birkenau se sont adressées à ces médecins en leur disant d'établir des certificats qui diraient que les Tziganes étaient malades de maladies contagieuses. Comme les médecins ne voulaient pas signer de telles attestations, contraires à la vérité, ils ont été affectés à une compagnie pénitentiaire et ensuite emmenés hors de Birkenau.

Les arrivées en camion :
Quant au processus de gazage lui-même, il faut ajouter que lorsqu'on amenait aux crématoires des gens âgés, infirmes, des enfants ou des malades, on ne leur disait pas de descendre du camion. En soulevant sa partie avant, on les faisait tomber dans la cour, comme on le fait lorsqu'on décharge des ordures d'un camion à ordures, dans des fosses spécialement prévues à cet effet. Parfois, après le gazage, lorsqu'on nous ordonnait de jeter les cadavres dans les fours, l'un d'entre eux bougeait encore et comme nous refusions de l’y mettre vivant, un SS l'achevait au revolver.

La révolte du Sonderkommando :
En été 44, nous, les membres du Sonderkommando, voyant que les Allemands avaient l'habitude d’en supprimer tous les membres, nous avons décidé de nous insurger et nous enfuir. Après nous être mis en relation avec d'autres unités du camp, et surtout avec le Sauna, le Kanada, les prisonniers de guerre soviétiques et le camp des femmes, le FKL, une insurrection a effectivement éclaté. Elle n'a pas eu les résultats escomptés, car les SS ont réussi à contrôler la situation et à écraser notre soulèvement. À cette occasion, quatre Unterscharführer ont été tués, 12 SS ont été blessés et 455 prisonniers ont été tués. Quatre femmes ont été pendues mais seulement six mois [en réalité, six semaines] plus tard, lorsqu'il a été prouvé qu'elles y avaient participé en nous fournissant des armes.
Juste avant l'éclatement de notre insurrection, j'avais décidé de m'enfuir et pour ce faire, je me suis intégré à un autre commando. Là, je me suis fait prendre et, pour avoir séjourné dans un autre commando, j'ai reçu comme punition 200 coups de bâtons en une seule fois. S'ils avaient su que mon intention était de m'enfuir, ils m'auraient tué.

"Sous la cendre" :
J'ai enterré sur le terrain du camp de Birkenau, près des crématoires, un appareil photo, des restes de gaz dans une boîte en métal et des notes en yiddish sur le nombre de personnes arrivées dans les convois et destinées au gazage. Je me rappelle l'emplacement exact de ces objets et je peux le montrer à tout moment. Si la commission les découvrait elle-même par hasard, bien entendu, je donne mon accord pour qu'elle les garde et en face l'usage qui s'impose car ces notes ont été prises pour la mémoire de tous ces gens étant donné que nous n'avions aucun espoir d'être libérés.

L'avenir :
Dans les jours à venir, j'envisage de me rendre à Auschwitz pour mes affaires personnelles. Ensuite, je partirai en France en passant par la Tchécoslovaquie. Je tiens à dire que j'ai l'intention d'utiliser à l'avenir le nom de Jankowski Stanislas, nom que j'ai adopté lors de mon séjour en France pour cacher mon vrai nom aux Allemands. Depuis et à ce jour, j'utilise ce nom.

L'évacuation :
Les derniers temps à Auschwitz, ou plutôt à Birkenau, alors que les Allemands commençaient à liquider le camp, mon Kapo qui avait travaillé avec moi pendant deux ans, a réussi à m'empêcher de quitter le camp plus tôt. J'y suis donc resté jusqu'au 18 janvier 45. Ce jour-là, on m'a fait sortir dans un convoi plus grand, d'environ sept personnes [erreur de transcription probable], et on nous a fait marcher vers l'Ouest. A Königsdorf, près de Rybnik, j'ai réussi à m'échapper et, après un vagabondage de deux mois, je suis parvenu à rejoindre les troupes de tête soviétiques. Cela s'est passé dans les derniers jours du mois de mars 45 à Wodzislaw, près de Rybnik.
Depuis ce jour, je vis en liberté.

photo Shlomo DragonJe m'appelle Szlama Dragon, je suis né le 19 mars 1920 à Zeromin, district de Sierpec, je suis fils de Daniel et Malka Beckermann, tous deux décédés, célibataire, tailleur de métier, de confession juive, de nationalité et de citoyenneté polonaises, demeurant à Zeromin.

L’arrivée à Auschwitz et la première sélection :   
Je suis arrivé à Auschwitz en train, le sept décembre 1942, dans un transport de 2500 Juifs, hommes, femmes et enfants de tous âges, en provenance du ghetto de Mlawa. Ce transport a été réceptionné à la gare par le Lagerführer Plage, le Rapportführer Palitzsch et le médecin du camp Mengele. À la gare déjà, ils ont procédé à une sélection en nous séparant en deux groupes : femmes et enfants dans un groupe, hommes dans l'autre. Dans le groupe d'hommes, ils en ont choisi 400. Je me suis retrouvée dans ce groupe. Nous, les 400, avons été conduit à pied au camp de Birkenau. Les autres, c'est-à-dire toutes les femmes avec les enfants et les hommes qui ne faisaient pas partie de notre groupe, ont été transportés par camion dans une direction inconnue, en tout cas en dehors du camp. Notre groupe a été placé dans le Block 3 de cette partie du camp qui a été transformée plus tard en camp des femmes. Par la suite, on m'a déplacé successivement dans le Block 22, dans le vieux "Sauna" et dans le Block 14 de la même section du camp.
Le soir du neuf décembre 1942, Moll, Flag, Palitzch et Siwy ainsi que l'Arbeitseinsatz Mikus sont arrivés dans le Block 14. Moll a déclaré qu'il allait procéder au choix des ouvriers pour l'usine de caoutchouc. Chacun de nous s'approchait de lui, Moll lui demandait sa profession, l'examinait et s'il était fort et en bonne santé, le destinait au groupe qui devait, selon leurs déclarations, travailler dans l'usine de caoutchouc. Mon frère et moi, nous avons déclaré que nous étions tailleurs professionnels et nous avons été dirigés vers ce groupe, formé alors par Moll et ses camarades. Le lendemain matin, le 10 décembre 1942, après le départ au travail de tous les commandos, Moll est arrivé dans le Block 14 et a donné l'ordre : "Sonderkommando raus". Nous avons ainsi appris que nous appartenions à un Sonderkommando et non pas au Kommando destiné au travail dans l'usine de caoutchouc. Nous ne savions pas ce qu'était ce Sonderkommando, puisque personne ne nous l'avait expliqué.

La sélection pour le Sonderkommando :
Sur l'ordre de Moll, nous sommes sortis devant le Block, les SS nous ont entourés et nous ont conduits en deux groupes de 100 personnes chacun en dehors du camp. Ils nous ont conduits dans la forêt où se trouvait une vieille maison couverte d'un toit en chaume. Ses fenêtres étaient murées. Sur la porte menant à l'intérieur de cette maison était accrochée une plaque métallique qui portait l'inscription : "Hohspannung-Lebensgefähr". À la distance d'environ 30 à 40 mètres de cette maison se trouvaient deux baraques en bois. De l'autre côté de la maison, il y avait quatre fosses de 30 m de longueur, 7 m de largeur et 3 m de profondeur chacune. Les bords de ces fosses étaient brûlés et portaient des traces de fumée. On nous a regroupés devant la maison, Moll est arrivé et nous a déclaré que nous allions travailler ici à l'incinération des gens vieux et couverts de poux, que nous aurions à manger, serions raccompagnés au camp pour la nuit et que nous étions obligés de travailler sinon, ceux qui ne voudraient pas le faire seraient battus et pour ceux-là, il y avait bâton et chiens. Les SS qui nous escortaient avaient effectivement des chiens. Ensuite, il nous a partagés en plusieurs groupes. Moi-même, avec les 11 autres, j'ai rejoint le groupe qui devait, comme il s'est avéré plus tard, retirer les corps de cette maison. À tous les 12 on nous a fait mettre des masques et on nous a conduits devant la porte de la maison. Moll a ouvert la porte et c'est alors seulement que nous avons vu que des corps nus de personnes, hommes et femmes de tous âges, se trouvaient entassés dans cette maison. Moll nous a ordonné de sortir ces cadavres devant la porte dans la cour. Nous avons commencé à le faire de manière à être quatre pour sortir un corps. Cela a irrité Moll, il a retroussé ses manches et s'est mis à jeter les corps à travers la porte dans la cour. Et quand, malgré sa leçon, nous avons déclaré que nous ne savions pas faire comme ça, il nous a autorisés à faire ce travail par deux. Quand les cadavres étaient dans la cour, le dentiste, accompagné d'un SS, s'est mis à arracher les dents, le coiffeur à couper les cheveux et ensuite un deuxième groupe enlevait les corps pour les mettre dans des "Rollwagen". C'étaient des wagonnets placés sur des rails étroits qui menaient jusqu'au bord des fosses. Les rails couraient entre deux fosses. Un autre groupe était occupé à préparer la fosse pour brûler les cadavres. D'abord, on plaçait au fond du bois épais, ensuite de plus en plus fin, en croix, et à la fin des branches sèches. Le groupe suivant réceptionnait les cadavres amenés dans les wagonnets au bord des fosses et les jetait dedans. Une fois tous les cadavres transportés de la maison dans les fosses, Moll versait de l'essence aux quatre coins de la fosse, allumait un peigne en caoutchouc et le lançait à l'endroit aspergé d'essence. Le feu éclatait et les cadavres brûlaient. Pendant que Moll allumait le feu, nous restions groupés devant la maison et l'observions attentivement. Après avoir sorti tous les cadavres de la maison, nous étions obligés de la nettoyer à fond, nous lavions le plancher à l'eau et la couvrions de sciure de bois et nous blanchissions les murs à la chaux.

Description du « Bunker 2 » :
L'intérieur de cette maison était divisée par des murs en quatre chambres à gaz. Dans l'une d'elles, on pouvait mettre 1200 personnes déshabillées, dans la deuxième 700, dans la troisième 400 et dans la quatrième de 200 à 250 personnes. Dans la première chambre à gaz, la plus grande, il y avait deux petites fenêtres dans le mur. Chacune des trois autres en avait une. Ces fenêtres étaient fermées par des volets en bois. Une porte séparée menait à chaque chambre. Sur la porte d'entrée était accrochée la plaque métallique que j'ai déjà mentionnée, portant l'inscription "Hohspannung-Lebensgefähr". Cette inscription était visible seulement quand la porte d'entrée était fermée. Lorsqu'elle était ouverte, on ne voyait pas cette inscription, mais une autre : "Zum Baden". Les gazés, une fois à l'intérieur, voyaient une autre inscription placée sur la porte de sortie de la chambre. C'était "Zum Desinfektion". Derrière la porte sur laquelle figurait cette inscription, aucune désinfection n'avait lieu. C'était la porte de sortie de la chambre à gaz par laquelle nous sortions les cadavres dans la cour. Chaque chambre avait une porte de sortie séparée. La chambre à gaz que j'ai décrite avait été dessinée avec exactitude par l'ingénieur Nosal d'Auschwitz, suite à ma déposition. Cette chambre était appelée « Bunker n° 2 ». À part celle-ci, il y en avait une autre, à la distance d'environ 500 mètres, désigné comme « Bunker n° 1 ». C'était aussi une maison en pierre, mais elle se composait seulement de deux chambres à gaz où on pouvait mettre, à elles deux, moins de 2000 personnes déshabillées. Chacune de ces chambres à gaz avait juste le porte d'entrée et une seule fenêtre. À proximité du Bunker n° 1 se trouvait une petite grange et deux baraques. Les fosses étaient très éloignées et les rails pour les wagonnets menaient jusque-là.
Le soir du premier jour, après notre travail, nous avons été ramenés au camp. On ne nous a pas placés dans le Block 14, d'où nous sommes partis travailler, mais dans le Block 2. Le deuxième groupe qui a travaillé ce jour-là, comme cela s'est avéré par la suite, dans le Bunker n° 1, nous a rejoint dans le Block. À la différence des autres, c'était un Block fermé, entouré d'un mur. Il nous était interdit de communiquer avec les prisonniers d'un autre Block.

Description d’un gazage :
Tout le commando ne participait pas au gazage qui avait lieu le plus souvent la nuit. On choisissait alors une vingtaine de prisonniers d'un autre commando qui aidaient ensuite dans ce travail car c'étaient des SS qui l'effectuaient en principe. Cela se passait de la manière suivante : on amenait les gens en camion jusqu'à la baraque. Nous, les préposés à l'aide, aidions les malades à descendre et à se déshabiller dans les baraques. Ces dernières et l'espace qui les séparait de la chambre à gaz étaient encerclés par les SS avec des chiens. Les gens déshabillés allaient nus des baraques jusqu'à la chambre à gaz. Les SS, qui étaient debout près de la porte d'entrée, les faisaient avancer à coups de matraque. Lorsque la chambre était remplie de gens, les SS fermaient la porte et Mengele donnait l'ordre à son adjudant le Rotenführer Scheinmetz de commencer le gazage. Il disait : "Scheinmetz macht das fertig". Alors Scheinmetz sortait de la voiture de la Croix-Rouge, qui suivait chaque transport des prisonniers destinés au gazage, une boîte de gaz, un marteau et un couteau spécial. Il mettait un masque, à l'aide du couteau et du marteau ouvrait la boîte, versait son contenu par la fenêtre dans la chambre à gaz. Ensuite, il refermait la fenêtre et rapportait dans la voiture la boîte, le marteau, le couteau et le masque. Les Allemands appelaient entre eux cette voiture "Sanker". Moi-même j'ai entendu de nombreuses fois Mengele poser à son adjudant la question : "Ist der Sanker da ?". Une fois tous ces actes accomplis, Mengele et son adjudant repartaient dans la voiture sanitaire et nous étions reconduits au bloc.

Après la crémation :
Je ne sais pas comment cela se passait au début, mais plus tard, une fois un tel gazage nocturne terminé, des gardes étaient placés à côté du Bunker et surtout à côté des baraques. Car il arrivait que, lorsqu'on laissait le Bunker sans surveillance jusqu'au matin, les coffres remplis de dents en or, entreposés là avec les autres affaires des gazés, disparaissaient. Les corps des gazés restaient dans le Bunker jusqu'au matin en attendant l'arrivée du commando qui les brûlait. Ce processus se déroulait de la même manière que celui que j'avais décrit en parlant de mon premier jour de travail au Bunker n° 2. Les affaires des gazés étaient emportées le lendemain par un commando spécial qui les triait et les transportait ensuite à l'Effektenkammer d'Auschwitz. Nous vidions les fosses des cendres seulement environ 48 heures plus tard. Dans les cendres, nous trouvions des os, on apercevait des crânes, des genoux et des os longs. Nous enlevions les cendres avec des pelles et les mettions sur le rebord de la fosse dont s'approchaient les camions où elles étaient chargées pour être transportées vers la Sola. Nous étions employés aussi au déchargement des cendres dans la Sola. Tout cela avait lieu sous la surveillance des SS. Nous étions obligés de couvrir de bâches l'espace entre le camion et l'eau pour qu'il n'y eût aucune trace de cendres sur le sol. Les SS nous ordonnaient de jeter les cendres de manière à les faire emporter plus loin par le courant et à les empêcher de se déposer au fond. Après avoir vidé le camion, nous secouions la poudre des bâches au-dessus de l'eau et nous balayions minutieusement toute l'aire de déchargement.

Les chambres à gaz :
La plupart du temps, à l'ouverture de la chambre à gaz, nous retrouvions les corps des gazés allongés. Lorsque les gens étaient nombreux, les corps s'entassaient, s'appuyaient les uns contre les autres, parfois étaient debout, penchés en avant. Très souvent, j'ai vu de l'écume blanche sur la bouche des gazés. Après l'ouverture de la porte, il faisait très chaud dans la chambre, on sentait le gaz qui nous suffoquait, mais dans la bouche, le goût était agréable, sucré. Les boîtes de gaz étaient en métal et portaient une étiquette jaune. C'étaient les mêmes que celles utilisées plus tard dans les crématoires. Dans les deux Bunkers, on gazait surtout des gens qui venaient de Pologne mais aussi des Lituaniens, des Français et des Juifs de Berlin. Le Bunker n° 1 a déjà été complètement démonté en 1943. Une fois le crématoire dit n° II construit à Birkenau, les baraques situées à côté du Bunker n° 2 ont été démontées et les fosses bouchées. Le Bunker lui-même a été maintenu jusqu'à la fin et après une assez longue période d'interruption, a été remis en marche pour y faire gazer les Juifs Hongrois. De nouvelles baraques ont été alors construites et les fosses dégagées. On a alors travaillé dans le Bunker en continu, deux relèves, nuit et jour. J'y ai moi-même travaillé, me semble-t-il deux jours. À cette époque-là, nous sortions les cadavres des chambres à gaz peu de temps après le gazage et il nous arrivait, une fois à l'intérieur, d'entendre encore des gémissements, surtout quand nous attrapions un corps par les bras pour le sortir dehors. Une fois, nous avons retrouvé un enfant vivant dans la chambre. Il était entièrement enveloppé dans un oreiller qui lui recouvrait aussi la tête. Après avoir défait l'oreiller, on a vu que l'enfant avait les yeux ouverts et semblait être en vie. On a rapporté l'enfant avec son oreiller à Moll en lui annonçant que l'enfant était vivant. Moll nous l'a enlevé des mains, l'a porté jusqu'au bord de la fosse, l'a posé sur le sol et avec le talon de sa chaussure a écrasé le cou de l'enfant et l'a ensuite jeté dans le feu. J'ai vu de mes propres yeux la scène entière et j'ai aperçu qu'au moment où Moll a écrasé le cou de l'enfant celui-ci a bougé les bras. Cet enfant n'a pas pleuré durant tout ce temps, mais je ne peux pas dire, car je ne l'ai pas vérifié, s'il respirait ou pas. En tout cas, il nous a sauté aux yeux qu'il n'avait pas le même air que les autres cadavres.
Les Bunkers n° 1 et 2 pouvaient contenir environ 4 000 personnes. Le Bunker n° 2 pouvait en contenir plus de 2 000 en une seule fois dans toutes les chambres, et le Bunker n° 1 moins de 2 000.

Les K IV et V :    
En 1943, nous avons été déplacés du camp des femmes au camp BIId et placés d'abord dans le Block 13 et ensuite dans le Block 11. À peu près à l'automne de cette année-là, j'ai de nouveau travaillé dans le Sonderkommando. Dans l'intervalle, j'ai travaillé dans le Abbruchkommando. J'ai travaillé dans le crématoire n° V. Comme les fours du crématoire V ne fonctionnaient pas encore, nous y avons été employés jusqu'en mai 1944 dans les jardins potagers, à la coupe de bois, à faire rentrer le coke. Ce crématoire a été mis seulement en service en mai 1944, quand les transports de Juifs Hongrois ont commencé à arriver. Moll dirigeait le travail au crématoire, le Kommandoführer Gorges exécutait ses ordres, Eckhardt était le 2è Kommandoführer et la surveillance était assurée par deux SS, Kurzchuss et Gutas. Ce crématoire était construit sur le même modèle que le IV. Les deux crématoires avaient chacun quatre fours des deux côtés. On pouvait mettre trois cadavres dans chaque four. Le vestiaire et les chambres à gaz (les Bunkers) se trouvaient au sous-sol. Le gazage lui-même se déroulait de la même manière que dans les Bunkers 1 et 2. Les gens y étaient amenés en camion et les derniers temps, après l'ouverture d'une voie de garage menant à Birkenau, on les faisait courir à grand renfort de coups de la rampe jusqu'aux crématoires IV et V. Les arrivants entraient dans les vestiaires, Gorges les pressait en leur disant de se dépêcher car la nourriture et le café allaient refroidir. Comme les gens réclamaient de l'eau, il leur répondait qu'elle était froide et qu'il était interdit d'en boire. Ils devaient se dépêcher, car du thé, déjà prêt, les attendait à la sortie des douches. Quand tous étaient déjà dans le vestiaire, Moll montait sur un banc et tenait un discours aux gens regroupés là. Il leur disait qu'ils étaient venus dans un camp où ceux qui étaient en bonne santé allaient travailler, alors que les malades et les femmes resteraient dans les Blocks. Tout en parlant, il leur montrait les bâtiments de Birkenau. Il disait que tous devaient se laver avant d'y aller, sinon les autorités du camp ne les laisseraient pas rentrer. Quand tous étaient déshabillés, on les poussait nus dans la chambre à gaz. Au début, il y avait trois chambres à gaz et à la fin, on en a ouvert une quatrième. La première pouvait contenir 1 500 personnes, la deuxième 800, la troisième 600 et la quatrième 150. Les gens passaient du vestiaire à la chambre à gaz par un petit couloir étroit. Dans les chambres à gaz, il y avait des plaques "Zum Desinfektion". Lorsqu'une chambre était remplie, on fermait la porte. Les gardiens SS le faisaient parfois, mais le plus souvent, Moll s'en chargeait lui-même. Ensuite, Mengele donnait l'ordre de gazer à Scheinmetz qui, comme c'était le cas dans les Bunkers, allait jusqu'à la voiture de la Croix-Rouge, en sortait une boîte de gaz, l'ouvrait et versait son contenu dans la chambre par la petite fenêtre latérale. Cette fenêtre était placée assez haut, il y accédait donc en montant sur une échelle. Ici comme dans les Bunkers, il le faisait avec un masque. Après un certain temps, Mengele annonçait que les gens étaient morts : "Es ist schon fertig" et repartait avec Scheinmetz dans la voiture de la Croix-Rouge. Moll ouvrait alors la porte de la chambre à gaz, nous mettions nos masques et nous tirions les corps de chaque chambre à travers le petit couloir jusqu'au vestiaire et du vestiaire par un autre couloir jusqu'aux fours. Dans le premier couloir, situé près de la porte d'entrée, les coiffeurs leur rasaient les cheveux et dans le deuxième, les dentistes leur arrachaient les dents.

La crémation :
Nous mettions les cadavres devant les fours sur des civières à roulettes que nous poussions dans le four. Nous mettions les cadavres de telle sorte que, si le premier était la tête en avant, le deuxième avait la tête à l'arrière. Nous mettions trois corps dans chaque four. Quand nous enfournions le troisième, le premier mis dans le four finissait de se consumer. J'ai vu se relever d'abord les bras de ces corps et ensuite les jambes. Nous nous dépêchions et je ne pouvais pas observer en entier le processus d'incinération. Il fallait nous dépêcher, car lorsque les jambes du cadavre en train de brûler se relevaient trop, nous avions du mal à enfourner le troisième corps. Nous manipulions la civière de telle sorte que, pendant que deux prisonniers la soulevaient à l'extrémité la plus éloignée du four, le troisième la soulevait du côté qu'on poussait ensuite dans le four. Après avoir poussé la civière, un des prisonniers retenait le corps avec un long tisonnier en fer, que nous appelions « graca », pendant que les deux autres retiraient la civière sous le cadavre. Après avoir rempli le four, nous refermions la porte et remplissions les autres fours. L'incinération durait de 15 à 20 minutes. Une fois ce temps passé, nous ouvrions la porte du four et y mettions d'autres cadavres.

Le K V :
À l'époque de l'arrivée des transports Hongrois, nous avons travaillé au crématoire V nuit et jour en deux relèves. Celle de jour de 6 h 30 à 18 h 30, et celle de nuit de 18 h 30 à 6 h 30. Ce travail a duré environ trois mois. Comme les fours étaient moins rentables, on a creusé des fosses à côté du crématoire V pour les Hongrois gazés. Il y en avait trois grandes et deux plus petites. Le processus d'incinération était le même dans les fosses près du crématoire que celui dans les fosses près des Bunkers 1 et 2. Ici aussi c'était Moll qui y mettait le feu. Les cendres étaient extraites de la même manière que dans les Bunkers, on les écrasait pour les transformer en poudre dans des mortiers spéciaux avant de les transporter vers la Sola. Au début, on mettait les cendres des crématoires dans des fosses creusées exprès à cet effet. Ensuite, après le début de l'offensive Russe, Höss a ordonné de les enlever des fosses et de les transporter jusqu'à la Sola.
Les chambres à gaz du crématoire V étaient hautes de deux mètres 50 environ. En tout cas, je ne pouvais pas toucher le plafond avec ma main tendue, il manquait environ 70 cm. Le rebord inférieur de la fenêtre, par laquelle on vidait le contenu de la boîte de gaz, le zyklon, pouvait être touché par la main tendue d'un adulte de taille moyenne. Mais Scheinmetz avait une échelle qu'il en approchait quand il versait le zyklon à l'intérieur de la chambre à gaz. À des périodes diverses, d'autres SS, dont je ne connais pas les noms, le faisaient aussi. Le nom de Scheinmetz m'est connu car il était au début le Kommandoführer de notre Sonderkommando. J'ignore son prénom. C'est un homme de taille moyenne, plus petit que moi, aux cheveux blonds, d'environ 26 ans je pense. Pour son service personnel, il choisissait toujours des filles Slovaques. Je ne sais pas s'il parlait avec elles en Slovaque ou en Allemand. Le Hauptscharführer Moll était le chef des crématoires IV et V et du Bunker 2. C'était un homme de taille moyenne, de forte corpulence, aux cheveux blonds avec une raie. Son oeil gauche était artificiel. Je pense qu'il avait environ 37 ans. Sa femme et leurs deux enfants (un garçon d'environ dix ans et une fille plus jeune, d'environ sept ans) habitaient à Auschwitz. Le Lagerartzt Mengele assistait le plus souvent au gazage. C'était un homme de ma taille, je pense d'environ 40 ans, aux cheveux châtains. Il venait toujours en voiture sanitaire dans laquelle on amenait le zyklon. Moi et les autres prisonniers du Sonderkommando, nous pouvions voir que pendant le gazage il restait près de la porte d'entrée de la chambre à gaz. Cette porte était munie d'une fenêtre. Une fois le gazage terminé, on ouvrait la porte sur l'ordre de Mengele. Alors que nous sortions les corps des gazés, Mengele n'était plus là, car il repartait immédiatement après avoir constaté que les victimes étaient gazées et avoir ordonné l'ouverture de la porte de la chambre à gaz. Il repartait dans la même voiture sanitaire. Je n'ai jamais vu Mengele ausculter ni les gens qui allaient à la chambre à gaz, ni les cadavres gazés.

Les transports Hongrois :
Début mai 1944, on a commencé à gazer et à brûler les Juifs Hongrois dans le crématoire V. Les cadavres des gazés arrivés par les premiers convois ont été brûlés dans les fours du crématoire IV car, pendant cette période, les cheminées du crématoire V étaient en panne. Jusqu'à la fin, on a brûlé les Juifs Hongrois dans les fosses creusées à cet effet à côté du bâtiment du crématoire V. On a creusé cinq fosses, chacune longue de 25 mètres, large de 6 mètres et profonde d'environ 3s mètres où brûlaient chaque jour environ 5000 personnes. Comme il arrivait dans les transports davantage de Juifs Hongrois on a remis en fonction le Bunker 2 et on y gazait et brûlait les gens. Je ne connais pas le nombre de personnes brûlées par jour dans le Bunker 2 car je n'y ai pas travaillé pendant la période où on y brûlait les Juifs Hongrois. Aussi bien le Sonderkommando employé au crématoire V que le Sonderkommando employé au Bunker 2 se relevaient nuit et jour. Ce travail a duré pendant les mois de mai et juin 1944. En me basant sur mes propres calculs et observations, je pense qu'environ 300 000 Juifs Hongrois ont été brûlés dans le crématoire V pendant ces deux mois. Ces gens sont arrivés à pied directement de la rampe à Birkenau. C'étaient des hommes, des femmes et des enfants de tous les âges. Lorsqu'un tel convoi arrivait sur le terrain du crématoire, on nous enfermait dans de petites pièces spécialement destinées à cet effet. Il ne fallait pas que nous communiquions avec ces gens-là et que nous leur dévoilions ce qui les attendait. Il arrivait toutefois qu'une personne eût un malaise sur le chemin. Nous étions alors obligés, escortés d'un SS, de porter le malade jusqu'au crématoire. Il nous arrivait dans ce cas de parler parfois avec les malades que nous portions. La plupart d'entre eux ignoraient qu'ils allaient à la mort et, quand nous leur disions qu'ils allaient dans un crématoire, ils ne le croyaient pas.

Tentative d’estimation du nombre de victimes :
Je me rappelle qu'en 1943 on avait brûlé 70 000 Juifs Grecs dans les crématoires II et V. Je me souviens de ce chiffre parce que Keller, le Kommandoführer des crématoires II et III nous avait menacés, avant l'arrivée de ces transports, en disant que la bonne vie était terminée pour nous, car il arriverait bientôt un transport de 70 000 personnes en provenance de la Grèce. Il nous parlait ainsi car, avant le gazage de ces gens des transports grecs, il y avait une rupture dans le fonctionnement des crématoires et nous ne travaillions pas beaucoup. Quant aux autres nationalités, je ne possède aucun chiffre et je ne peux pas dire combien il y a de victimes gazées par pays et par nationalité. J'estime le nombre de gazés dans les deux Bunkers et les quatre fours à plus de 4 millions. Les autres prisonniers employés au Sonderkommando étaient du même avis. Le Schreiber de notre commando, Zalmen Gradowski, de Grodno, inscrivait le nombre de gazés et de brûlés dans chacun des crématoires d'après les indications fournies par les prisonniers qui travaillaient dans l'ensemble des crématoires et notait les impressions des prisonniers eux-mêmes. Gradowski a été tué pendant l'insurrection en octobre 1944. 500 prisonniers du Sonderkommando qui en comptait 700 ont été alors tués. Cent prisonniers dormaient au crématoire II, les 100 autres aux crématoires III et les 500 restants au crématoire IV.

Les manuscrits enterrés :
Les souvenirs de ce Gradowski étaient enfouis sous terre dans un endroit protégé par une clôture en barbelés sur le territoire du crématoire II. Je les ai déterrés moi-même et les ai remis à la délégation soviétique. C'était un carnet de notes et une lettre adressée à l'inconnu qui les aurait retrouvés. Sur l'ordre de la commission soviétique, tous les documents écrits en hébreu ont été traduits en russe par un prisonnier, le docteur Gordon. La commission soviétique a emporté tous ces documents avec elle. Je sais que d'autres documents et notes se trouvent toujours ensevelis sous terre sur le terrain du crématoire II et dans les fosses, recouvertes de terre, il y a des cendres des gens brûlés dans ce crématoire. Il faut rechercher ces objets en face des fours crématoires. Je ne peux pas indiquer leur emplacement exact, car après la destruction du crématoire, le terrain a changé. Il a été rasé, encore du temps des Allemands et je ne m'y retrouve pas.

Effectifs des Sonderkommandos :
Je n'ai travaillé ni au gazage, ni à l'incinération des gens dans les crématoires II et III. Zisner et Mandelbaum y ont été employés. Tauber y a travaillé avec moi et avant d'avoir été déplacé au crématoire de Birkenau il a travaillé en plus au crématoire I à Auschwitz.
Dans le Sonderkommando préposé au service des deux Bunkers où j'avais travaillé avant d'avoir été muté vers le nouveau Sonderkommando, créé en décembre 1942, travaillaient surtout des Slovaques. Ils ont tous étés gazés dans le crématoire I à Auschwitz. Comme je l'ai déjà mentionné, le Sonderkommando où j'ai été muté se composait de 200 prisonniers. Peu de temps après, ses effectifs ont été renforcés à 400. Ensuite, 200 prisonniers de ce Sonderkommando ont été envoyés à Lublin, d'où est revenu un groupe de vingt Russes. Ils nous ont appris que les 200 envoyés à Lublin y avaient été fusillés. En 1943, deux cents Grecs ont été attachés à notre Sonderkommando et en 1944 cinq cents Hongrois. En octobre 1944, cinq cents prisonniers ont été fusillés, dont 400 dans la cour du crématoire IV et 100 dans le champ situé à côté du crématoire II. Le même mois, Moll a choisi environ 200 prisonniers du Sonderkommando, conduits ensuite à Auschwitz où, comme nous l'ont ensuite précisé les prisonniers travaillant au "Canada", ils avaient été gazés dans la chambre qui servait à garder des affaires entreposées au "Canada". En novembre 1944, cent prisonniers du Sonderkommando ont été envoyés à Gross Rosen. C'est ce qu'on nous disait du moins. En tout cas ils sont partis avec un convoi punitif. Après toutes ces pertes, nous n'étions plus qu'un peu plus de 100 dans notre Sonderkommando. Le crématoire V a fonctionné jusqu'au dernier jour de la présence des Allemands dans le camp ; ils l’ont fait sauter à la dynamite juste avant leur fuite. C'était le 20 janvier 1945. Les derniers temps, on y brûlait seulement les gens morts ou tués dans le camp. On ne procédait plus au gazage des gens. Le fonctionnement du crématoire était assuré par 30 prisonniers du Sonderkommando, les autres étaient employés au démontage des crématoires II et III. Moi-même j'ai travaillé à ce démontage.

La révolte :
Fin mai 1944, j'ai été muté avec tout le Sonderkommando du Block 11 de la section BII au crématoire IV où j'avais habité jusqu'en octobre 1944. Comme je l'ai déjà dit, environ 700 prisonniers du Sonderkommando y habitaient. Étant donné que le fonctionnement des crématoires à cette époque-là ne nécessitait pas autant de personnes, nous craignions d'être gazés nous-mêmes. C'est pourquoi nous avons décidé de nous insurger. Nous le planifions depuis longtemps, nous avions des contacts et des liaisons avec l'extérieur, nous fabriquions des grenades, nous avions des armes et un appareil photo et nous attendions le début de la troisième offensive Soviétique. Nous pensions en effet que notre action avait une chance de succès seulement en cas d'offensive. En octobre, notre situation nous a paru très grave, nous avons décidé de ne plus attendre et nous avons commencé notre action. Je ne me rappelle plus la date exacte, c'était un samedi. Nous nous sommes rués sur les gardiens SS, en avons blessé 12. Il y avait des morts parmi eux, paraît-il. Au même moment, les prisonniers des crématoires II et III devaient entrer en action. Le Sonderkommando du crématoire III n'a pas eu le temps de débuter son action. Des renforts SS sont entrés immédiatement sur le terrain de notre crématoire. Plusieurs compagnies ont encerclé tout le terrain. 500 prisonniers ont été tués et les autres ont réussi à sauver leur vie en se cachant. Je me suis caché sous un tas de bois et Tauber dans le conduit de la cheminée du crématoire V. Nous, qui avons survécu, avons tous été transférés et parqués au crématoire III. On a été gardé en vie parce qu'ils étaient en train de mener une enquête pour démasquer notre organisation. Cela n'a pas abouti malgré de fréquentes fouilles corporelles et des perquisitions au Block. Nous avons enterré tous les matériels, surtout les grenades, et avons renoncé à toute action clandestine.

Après la révolte :
Je suis resté au crématoire III jusqu'en novembre 1944, ensuite tout le Sonderkommando a été transféré au camp BIId. Je me suis retrouvé au Block 3. À partir d'octobre 1944, c'est-à-dire depuis l'insurrection que j'ai décrite, je travaillais à la démolition des crématoires, et plus spécialement du n° IV. Comme celui-ci a été brûlé pendant l'insurrection, nous démolissions seulement les murs. Les parties métalliques de ce crématoire ont été transportées jusqu'à Auschwitz où elle se trouvent jusqu'à ce jour au Bauhof. Les autres prisonniers du Sonderkommando travaillaient pendant ce temps au démontage des crématoires II et III. Il a commencé en novembre 1944 et d'après ce qu'on nous disait, les crématoires démontés (parties métalliques des fours, portes, systèmes d'aération, bancs, escaliers et autres pièces qui se trouvent à ce jour au Bauhof) devaient être transportés à Gross Rosen.
Je dois souligner que le même type de porte et de volets sur les fenêtres étaient utilisés dans les Bunkers 1 et 2 et les crématoires IV et V : en bois épais, elles étaient lourdes, à clavette, et avec des emboîtures garnies de feutre pour une meilleure isolation. Les portes étaient fermées avec deux poignées, elles-mêmes vissées pour une meilleure isolation. Les portes des Bunkers n'étaient pas munies de vasistas, alors que les portes de toutes les chambres à gaz de tous les crématoires (II à IV) en étaient pourvues. Les crématoires II et III n'avaient pas de volets en bois, car le gaz y était introduit par des ouvertures situées dans le plafond. Elles étaient fermées par des plaques de béton.
Je présente ici des schémas de dessin des Bunkers 1 et 2 et du crématoire V. Le crématoire IV était construit et situé à l'identique. Je demande que ces dessins soient joints au procès-verbal pour une meilleure compréhension de ma déposition.

L’évacuation :
Je suis resté au Block 3 du camp BIId jusqu'au début janvier 1945. Ensuite j'ai été transféré avec le Sonderkommando au Block 16, d'où nous avons été évacués le 18 janvier dans un convoi en direction du Reich. Alors que nous allions à pied, nous avons réussi, Tauber et moi, à nous enfuir aux environs de Pszczyna. Le Sonderkommando entier, soit plus de 100 personnes, a quitté Auschwitz. J'ignore qui a survécu. Ces derniers jours, Mosiek Van Kleib, un Hollandais, est revenu et, sans s'arrêter, est reparti dans son pays. Parmi les prisonniers du Sonderkommando sortis d'Auschwitz se trouvaient entre autres : Zawek Chrzan de Gostynin ; Samuel, un Français ; Leibel de Grodno ; Lemko de Czerwony Bor ; David Nencel de Rypin, Moszek et Jankel Weingarten de Pologne ; Sender de Berlin ; Moryc de Grèce ; Abram Dragon de Zeromin ; Serge, un Français, le Blockälteste ; Abo de Grodno ; Becker Berek de Luma ; Kuzyn de Radom et d'autres dont je ne me rappelle pas les noms.

J'ai l'intention de m'installer à Zeromin et de commencer à travailler dans ma profession. Je pense que mon frère reviendra aussi et que nous pourrons travailler ensemble. Je m'attends à être convoqué pour faire mon service militaire. Après ce que j'ai vécu au camp, je suis tout à fait épuisé nerveusement, je tiens absolument à retourner à une vie normale, à sortir de l'atmosphère du camp et à oublier tout ce que j'ai vécu à Auschwitz.

Je m'appelle Henryk Tauber, je suis né le 08 juillet 1917 à Chrzanow, je suis fils d'Abraham Tauber et de Minda née Szajnowiec, célibataire, Juif de confession, de nationalité et de citoyenneté polonaise, piqueur de bottines de profession, demeurant à Chrzanow, casier judiciaire vierge.

Eléments autobiographiques :
Jusqu'au début de la guerre, en 1939, j'ai habité à Chrzanow avec ma proche famille, composée de 12 personnes. De toute la famille, deux personnes sont encore en vie, moi-même et un de mes beaux-frères. Je n'ai pas de nouvelles de mon frère émigré en Russie, je ne sais pas ce qu'il est devenu. Suite à des actions massives de déplacement et d'expropriation, ma famille a été dispersée et je me suis retrouvé dans le ghetto de Cracovie. J'ai été arrêté là-bas en novembre 1942 et enfermé à la prison au 31 rue Jozefinska, siège du service d'ordre juif. Le 19 janvier 1943, j'ai été transféré à Auschwitz avec 400 Juifs du ghetto de Cracovie et 800 Aryens de la rue Monteluppi. Ce convoi se composait d'environ 800 hommes et 400 femmes.

L’arrivée à Auschwitz et la sélection pour le Sonderkommando :
Dès la gare d'Auschwitz, les femmes ont été séparées des hommes et conduites au camp de femmes de Birkenau. Je me suis retrouvé dans un groupe de 50 prisonniers Juifs et environ 550 Aryens, placé dans le Block 27 de la section BIb [à Birkenau]. La construction de ce Block n'était pas terminée, il n'y avait ni fenêtres, ni portes, ni couchettes. Ensuite j'ai été transféré successivement aux Blocks 22 et 20 de la même section du camp. Pendant quelques jours, j'ai séjourné à Buna dont j'ai été transféré de nouveau à Birkenau et placé dans le Block 21 de la section BIb suite à une épidémie de typhus qui s'est déclarée parmi les prisonniers du groupe auquel j'appartenais.
Pendant ce temps, il a été procédé à l'enregistrement au cours duquel j'ai déclaré être serrurier mécanicien qualifié. Début février 43, sont arrivés au Block l'Unterscharführer Groll, l'Arbeitseinsatz, prisonnier Mikus, et ils ont sélectionné parmi les prisonniers de notre Block des spécialistes pour travailler, à ce qu'il paraissait, dans des ateliers à Auschwitz. Nous avons été 20 jeunes Juifs à être sélectionnés. Nous avons été conduits au Block pour être examinés par un médecin qui nous a déclarés tous en bonne santé. Le même jour, nous avons été transportés en camion, sous l'escorte des SS, à Auschwitz et placés dans le Block 11, au Bunker [cellules du sous-sol] 7. Le lendemain, nous avons été conduits, tous les 20, sous une escorte serrée de SS dans le Bunker où se trouvait, comme cela s'est avéré plus tard, le crématoire I. Là, nous avons rencontré 7 Juifs, dont Jankowski et trois Polonais. Le Kapo était Mietek Morawa de Cracovie. C'était un homme de haute taille, jeune, d'environ 24 ans, blond et mince. Un de ses frères était boxeur à Cracovie. J'ai entendu dire que sa famille habitait à Debniki. Au début, ici, dans le groupe de travail du premier crématoire à Auschwitz, c'était un Kapo très dur qui effectuait de manière réglementaire le travail imposé par les Allemands. Plus tard, il a été transféré en tant qu'Oberkapo aux crématoires II et III de Birkenau. Là-bas, il essayait de vivre en paix avec nous, car nous étions environ 400, nous y travaillions depuis déjà un long moment, nous étions fatigués, décidés à tout et ne permettions pas de nous faire marcher sur les pieds.

Le premier jour au Sonderkommando :
Le premier jour après notre arrivée aux crématoires, l'Unterscharführer dont j'ai oublié le nom, nous a tenu un discours. Il nous a dit que nous allions effectuer un travail désagréable mais qu'il fallait nous y habituer et que, quelque temps après, il ne présenterait plus aucune difficulté pour nous. Il nous parlait en Polonais. À aucun moment de son discours, il n'a dit un seul mot sur le fait que nous serions employés à l'incinération des cadavres humains. Il a terminé son discours par cet ordre : "Los an die Arbeit" en nous donnant des coups de cravache sur la tête. Ils nous ont poussés à grand renfort de coups, lui et Mietek Morawa, dans le Bunker 1 où se trouvaient plusieurs centaines de cadavres. Ils s'entassaient les uns sur les autres, sales, gelés, beaucoup étaient couverts de sang, le crâne fracassé. D'autres, visiblement après une autopsie, avaient le ventre ouvert. Ces corps étaient gelés et nous étions obligés d'utiliser des haches pour les séparer les uns des autres.

Description des fours et du procédé de crémation au K I  :
Battus et bousculés par l'Unterscharführer et le Kapo Morawa, nous tirions les corps vers la hajcownia [terme utilisé par les prisonniers parlant Polonais pour désigner la salle des fours] où se trouvaient trois fours, chacun possédant deux "mufel" [moufles ou creusets]. Je désigne par le nom de "mufel", conformément à la nomenclature de la commission soviétique, des foyers servant à brûler les corps. Dans la hajcownia, nous mettions les corps dans un chariot sur rails, qui se déplaçait entre les fours. De la porte d'entrée du Bunker [désigne ici la chambre à gaz, il le précisera plus loin] où se trouvaient les corps, ce chariot roulait sur une plaque, la szajba, qui tournait dans toutes les directions et se déplaçait en biais dans la hajcownia sur des rails plus larges. De ces rails larges, couraient jusqu'à chaque four des rails plus étroits, sur lesquels roulait un chariot. Le chariot se déplaçait sur quatre petites roues en fer. Il avait un épais support métallique en forme de coffre. Pour le rendre plus lourd, on le chargeait de cailloux et de pièces en fer. La plaque du dessus était prolongée par une auge en métal longue de deux mètres environ. Nous y mettions cinq corps, d'abord deux placés les jambes vers le four le ventre vers le haut, ensuite deux autres tête-bêche, le ventre vers le haut, et le cinquième par-dessus sur le ventre, les jambes vers le four. Les bras de ce dernier corps retombaient le long des autres, ceux du dessous. Comme parfois le poids de ce chargement était supérieur au poids du support, nous étions obligés de maintenir l'auge par en dessous avec une planche, pour empêcher les corps de tomber. L'auge ainsi chargée était poussée dans le foyer. Une fois les cadavres dans le four, nous les bloquions avec une boîte placée en travers, pendant que d'autres prisonniers retiraient l'auge d'en dessous les corps. Une poignée spéciale, placée à l'extrémité de l'auge, attrapait ce pousse-boîte. Ensuite, nous refermions la porte.

La constitution du K I  :
Dans le crématoire I se trouvaient deux fours à deux foyers chacun, ce que j'avais déjà mentionné. Dans chaque foyer, on pouvait faire brûler cinq cadavres. On pouvait donc brûler en même temps 30 cadavres. À l'époque où je travaillais dans ce crématoire, l'incinération d'un tel chargement prenait jusqu'à 1 h 30. En effet, c'étaient des corps maigres, de vrais squelettes, qui se consumaient très lentement. Ma pratique et des observations ultérieures dans les crématoires II et III m'ont permis de constater que les cadavres de gens gras brûlaient beaucoup plus vite. L'incinération était alors accélérée par la présence de la graisse humaine, une sorte de braise supplémentaire. L'ensemble des fours du crématoire I se trouvait dans la pièce que j'appelle hajcownia. Dans cette pièce, il y avait, près de l'entrée, un four tourné côté générateur vers la porte d'entrée, et coté foyer vers la pièce. Les deux autres au contraire avaient les foyers coté porte d'entrée et les générateurs côté pièce. Ces fours étaient alimentés avec du coke. Comme le prouvent les inscriptions qui se trouvent sur la porte de chaque four, ils ont été fabriqués par la firme "Topf und Söhne" d'Erfurt. Le chariot servant à déplacer les corps était aussi fabriqué par cette firme. Derrière la hajcownia se trouvait un petit entrepôt de coke. À côté de lui, une petite szreibsztuba [bureau des écritures] et plus loin, à droite, un entrepôt d'urnes pour les cendres humaines. La porte d'entrée qui mène dans la pièce que j'appelle hajcownia a été percée plus tard. À l'époque où je travaillais au crématoire I elle n'existait pas encore. On accédait alors à la hajcownia du couloir par une porte située à gauche de l'entrée. Il y avait deux portes comme ça. Une à droite, qui conduisait dans une petite remise où se trouvaient des grilles de rechange. Ici se déshabillaient les gens amenés en camion, de petits convois. Du temps de mon travail au crématoire I, on les fusillait dans le Bunker de ce crématoire. (Je donne le nom de Bunker à cette partie du bâtiment où on gazait les gens). Ces convois arrivaient une à deux fois par semaine et comptaient de 30 à 40 personnes, toutes nationalités confondues. Pendant qu'on fusillait ces gens, nous, qui travaillions dans le Sonderkommando, étions enfermés dans l'entrepôt de coke. Nous trouvions les corps des fusillés dans le Bunker. Ils avaient tous une plaie à l'arrière de la tête (Genickschuss). Ces exécutions étaient effectuées toujours par le même SS du bureau politique, assisté d'un autre SS de la même section qui constatait par écrit la mort des fusillés. Le Kapo Morawa n'était pas avec nous dans l'entrepôt pendant l'exécution. Je ne sais pas ce qu'il faisait pendant ce temps. Nous portions les corps encore chauds, ensanglantés, dans la hajcownia. La deuxième porte d'entrée du couloir, à droite, menait à la petite pièce où on déposait les cendres humaines. On passait par cette pièce pour entrer dans le Bunker lui-même, utilisé à l'époque où j'y travaillais, pour fusiller les victimes et avant encore, pour gazer les gens.

Fonctionnement des Sonderkommandos :
En décembre 42, on a gazé dans ce Bunker 400 prisonniers du Sonderkommando. Cela m'a été rapporté par les prisonniers qui étaient employés au crématoire I et que j'ai retrouvés là quand j'y ai été transféré moi-même. J'ai travaillé au crématoire I de début février 43 au quatre mars 43 soit plus d'un mois. Pendant toute cette période, nous sommes restés dans le Bunker 7 [cellule] du Block 11. Nous y étions 22 Juifs car début février, après l'arrivée de notre groupe de Birkenau, deux autres Juifs dentistes Tchèques y ont été transférés. Les sept Juifs que j'ai rencontrés dans le crématoire I habitaient aussi au Block 11 mais dans une autre cellule. Le Kapo Morawa habitait avec deux Polonais, Jozek et Wacek, qui travaillaient déjà au crématoire I, dans le Block 15, c'est-à-dire le Block ouvert. Au cours de ce mois-là, à part ces deux Juifs tchèques, ont été mutés dans notre groupe quatre Polonais : Staszek et Wladek dont j'ai oublié les noms ; Wladyslaw Biskup de Cracovie et Jan Agrestowski d'une commune proche de Varsovie. Je me rappelle bien leurs noms car je leur écrivais des lettres en allemand pour leurs familles. Ces quatre Polonais que je viens de mentionner habitaient aussi dans le Block 15. Au moment du départ au travail le « vieux » commando était appelé "Kommando Krematorium I". Notre groupe, c'est-à-dire nous les 22 Juifs et les quatre Polonais transférés dans notre groupe, étions nommés "Kommando Krematorium II". Nous ne comprenions pas à l'époque cette dénomination. Ce n'est que plus tard que nous avons compris qu'on nous envoyait faire un stage d'un mois au crématoire I pour nous préparer au travail dans le crématoire II.

Isolement, affectations et punitions au Sonderkommando :
Je dois souligner que les crématoires et les commandos qui y travaillaient dépendaient du bureau politique et les fiches des prisonniers membres de ces commandos, se trouvaient aussi dans ce service. Les malades n'étaient pas envoyés à l'infirmerie générale mais dans une pièce spéciale du Block aménagée en infirmerie séparée [à Birkenau]. Le Block où nous habitions était isolé des autres et à Auschwitz on nous gardait dans le Block 11 fermé. Seul un ordre du bureau politique permettait à un prisonnier d'être libéré du commando et d'être transféré dans un autre, cela dépendait de l'Arbeitsdienst. Un Juif français du nom de Pach était notre médecin. C'était un très bon spécialiste qui soignait des SS. Grâce à leur protection, il a réussi à quitter le Sonderkommando et a été transféré dans un autre Block. Lorsque le bureau politique l'a appris, Pach a de nouveau été muté dans notre service de soins, bien qu'il fût déjà depuis plusieurs mois dans le Block libre. Pendant que nous travaillions au crématoire I, l'Untersturmführer Grabner et l'Oberscharführer Quakernack entre autres, du bureau politique, contrôlaient notre travail. Je me rappelle que le Kapo Mietek s'est adressé une fois à Grabner pour lui demander de lui affecter un nouveau prisonnier car l'un de notre groupe était mort. Grabner lui a répondu qu'il ne pouvait pas lui donner un Zugang, qu'il devait tuer encore quatre Juifs et qu'alors il lui donnerait cinq Zugang. Il en a profité pour demander à Mietek avec quoi il battait ses prisonniers. Celui-ci lui a montré un bâton en bois. Grabner a attrapé alors une grille en fer et lui a dit de l'utiliser pour battre les prisonniers. Après le premier jour de travail, cinq des nôtres se sont portés malades et sont restés au Block. Le lendemain, alors que nous retirions des cadavres du Bunker du crématoire I, nous avons retrouvé leurs corps nus, sans aucune trace de balle. Je suppose qu'ils avaient été "piqués". Après un mois de travail au crématoire I, des 22 Juifs nous n'étions plus que 12. Notre groupe, y compris Wladyslaw Tomiczek de Cieszyn et les quatre Polonais déjà mentionnés, a été transféré le quatre mars 43 à Birkenau dans le Block 2 de la section BIb. C'était un Block fermé. Comme je l'ai appris plus tard, Tomiczek travaillait au crématoire déjà en 41. C'était un ancien prisonnier, il portait le numéro 1400 et quelques. Avant son affectation à notre groupe, qui a eu lieu en mars 43, il avait travaillé pendant un certain temps au moulin et aux abattoirs où il avait été arrêté avec un groupe de 40 prisonniers au motif de conspiration. Ce groupe a été transféré au Block 11 à Auschwitz et tous ont été condamnés à mort par un tribunal SS. L'Untersturmführer Grabner a reconnu Tomiczek avant l'exécution de la sentence et il l'a fait transférer dans notre groupe. Tomiczek travaillait à Birkenau comme Kapo du commando employé au crématoire II, et IV ensuite. En août 43 me semble-t-il, il a été convoqué au bureau politique. Le jour même, l'Oberscharführer Quakernack a fait apporter son cadavre que nous avons brûlé dans le crématoire V. La tête de Tomiczek était enveloppée dans un sac, mais nous l'avons tous reconnu car il était de forte corpulence. Quakernack nous a personnellement surveillés jusqu'à ce que le corps de Tomiszek fût dans le four. Il est parti immédiatement après. Alors nous avons rouvert le four, sorti le corps, enlevé le sac et reconnu parfaitement Tomiszek. C'était un homme bon, qui nous traitait bien. Nous le mettions au courant de notre activité clandestine.

Le K II :
Le 04 mars 43, escortés par des SS, nous avons été conduits sur le terrain du crématoire II. Le Kapo August, transféré à la même époque de Buchenwald où il avait travaillé au crématoire, nous a expliqué la construction de ce crématoire. Celui-ci avait un vestiaire souterrain (Auskleideraum) et un Bunker c'est-à-dire une chambre à gaz (Leichenkeller). Entre ces deux caves, il y avait un couloir auquel menait, de l'extérieur, un escalier ainsi qu'une glissière où on jetait des corps amenés du camp et destinés à l'incinération dans le crématoire. Une porte menait du vestiaire au couloir et de là, à droite, une autre donnait sur la chambre à gaz. Un autre escalier menait à ce couloir, du côté du portail de l'entrée principale sur le terrain du camp. À gauche de cet escalier, se trouvait une pièce où on mettait les cheveux, lunettes et autres objets de ce genre. Dans un coin à droite de cet escalier, se trouvait une autre petite pièce, la réserve de boîtes de gaz, je suppose. Dans l'angle droit du couloir, sur le mur en face de l'entrée du vestiaire, se trouvait un ascenseur servant à amener les cadavres. On accédait de la cour du crématoire au vestiaire par un escalier. Celui-ci était entouré d'une barrière métallique. Sur la porte était accrochée une plaque avec l'inscription en plusieurs langues : "Zum Baden und Desinfektion". Dans le vestiaire, des bancs en bois étaient disposés le long des murs et des portemanteaux en bois, numérotés. Il n'y avait aucune fenêtre et la lumière était allumée en permanence. Il y avait là une installation d'eau. Une porte, sur laquelle était inscrit "Zum Baden" en plusieurs langues aussi, donnait sur le couloir. Je me rappelle que le mot "Bania" y était inscrit aussi. Par une porte située à droite, on entrait dans la chambre à gaz. La porte, en bois, était faite de deux couches de planches courtes, posées comme l'est le parquet sur le sol. Entre ces deux couches, se trouvait un panneau en pâte isolante. Les bords de la porte et les emboîtures des chambranles étaient isolés avec des joints de feutre. À la hauteur de la tête d'un homme de taille moyenne, cette porte était munie d'une ouverture ronde avec une vitre, protégé de l'autre côté, côté chambre à gaz, d'une grille métallique en forme de demi-lune. Cette grille a été installée parce qu'il était arrivé que les gens qui se trouvaient dans la chambre à gaz avaient réussi parfois à casser la vitre avant de mourir et comme, malgré la grille, cela s'est reproduit ultérieurement, l'ouverture a été occultée par une planche ou une plaque métallique. Ici, je précise que les gens destinés au gazage et qui se trouvaient à l'intérieur de la chambre à gaz parvenaient parfois à détériorer le système de ventilation ou les câbles électriques en les arrachant. Côté couloir, la porte était fermée par des verrous en métal qui, une fois la porte fermée, étaient encore resserrés à l'aide d'écrous spéciaux pour plus d'étanchéité. Le plafond de la chambre à gaz était soutenu au milieu, dans le sens de la largeur, par quatre piliers en béton. À gauche et à droite de ces piliers se trouvaient quatre poteaux. À l'intérieur de ces poteaux, il y avait une sorte de mur en grille de métal épais qui montait jusqu'au plafond et de là, se prolongeait à l'extérieur. Derrière ce "mur", il y avait une grille à maillage plus serré et dedans, une troisième, à maillage plus serré encore. À l'intérieur de cette troisième grille, il y avait une boîte qui tournait et qui servait à enlever, à l'aide d'un fil de fer, la poudre dont le gaz s'était échappé. La chambre à gaz était munie d'une installation électrique qui courait des deux côtés, le long de la poutre maîtresse, soutenue par les piliers en béton. La ventilation était placée dans les murs de la chambre à gaz. Elle se terminait, côté chambre à gaz, par de petites ouvertures munies de grilles en fer blanc, situées à l'extrémité en haut des murs latéraux et d'autres, en bas, protégées comme par des muselières en fer. La ventilation de la chambre à gaz était liée aux systèmes de tuyaux de ventilation du vestiaire. Ce système de ventilation, qui desservait la salle d'autopsie, était actionné par des moteurs électriques placés au grenier du bâtiment du crématoire. La chambre à gaz n'avait pas d'installation d'eau. On se servait d'un tuyau d'arrosage, monté sur le robinet d'eau se trouvant dans le couloir, pour rincer le sol de la chambre à gaz. Fin 43, à l'aide d'un mur, on a partagé en deux la chambre à gaz pour permettre le gazage de convois plus petits. Ce mur était pourvu d'une même porte que la première porte d'entrée entre le couloir et la chambre. Les transports plus petits étaient gazés dans la chambre du fond, la plus éloignée du couloir. Le toit du vestiaire et de la chambre à gaz étaient tous deux recouverts à l'extérieur d'une dalle en béton, elle-même recouverte de terre où poussait l'herbe. Au-dessus de la chambre à gaz, se trouvaient des espèces de petites cheminées. C'étaient les quatre ouvertures par lesquelles on introduisait le gaz à l'intérieur. Elles étaient refermées chacune par un clapet en béton, muni d'une poignée en bois de la largeur de deux mains. Le terrain au-dessus du vestiaire, complètement plat, était légèrement surélevé par rapport au niveau de la cour. Les tuyaux de ventilation aboutissaient aux conduits et aux cheminées dans le bâtiment situé au-dessus du couloir et du vestiaire. Je précise qu'au début il n'y avait ni bancs dans le vestiaire, ni pommes de douche dans la chambre à gaz. Les deux ont été installés seulement à l'automne 43 pour faire croire que c'étaient bien des douches et une pièce de désinfection et non un vestiaire et une chambre à gaz. Les pommes de douche ont été montées sur des cubes en bois, placés à cet effet dans le plafond en béton de la chambre à gaz. Aucune arrivée d'eau n'y a jamais été installée et l'eau n'a donc jamais coulé de ces douches.

La salle des fours du KII :
Comme je l'ai déjà mentionné, il y avait un ascenseur dans le couloir ou plus exactement, un monte-charge permettant d'amener les cadavres jusqu'au niveau du rez-de-chaussée. De là, une première porte menait à la hajcownia où se trouvaient les fours crématoires et une deuxième, en direction opposée, qui menait à une pièce supplémentaire où on entreposait des cadavres. Il y avait là, en plus, un couloir auquel on accédait directement par une porte située du côté du portail de l'entrée principale du crématoire. Par la porte située à droite dans le couloir, on entrait dans la salle d'autopsie. Entre cette dernière et la pièce à cadavres, il y avait des toilettes où on entrait de la salle d'autopsie. Par la porte située à gauche dans le couloir, on entrait dans la hajcownia, côté générateurs des fours crématoires. Ces fours, au nombre de cinq, alignés côte à côte et à une distance égale l'un de l'autre, étaient alimentés par deux générateurs chacun. De l'autre côté, du côté donc de la sortie de l'ascenseur, ces fours avaient chacun trois foyers. Dans chaque foyer, fermé chacun par une porte où figurait le nom de "Topf", on mettait cinq cadavres. Sous chaque foyer, il y avait un cendrier, fermé lui aussi par une porte avec la même inscription dessus.

Les autres pièces :
Derrière les fours, côté portail d'entrée dans la cour du crématoire, se trouvait un entrepôt de coke. Plus loin, en avançant vers le fond de la cour, derrière cette remise, il y avait un petit couloir étroit d'où on accédait à une pièce destinée aux SS. Celle-ci avait deux fenêtres, l'une qui donnait sur la hajcownia côté foyers, l'autre sur la cour arrière du crématoire. À côté de cette pièce, il y avait celle du Kommandoführer, avec une seule fenêtre, donnant sur la cour arrière. Après cette pièce se trouvaient des toilettes et un petit lavabo et plus loin, c'était la pièce des médecins avec une fenêtre donnant sur le camp des femmes. Un escalier menait de ce couloir au grenier où se trouvait la salle destinée aux prisonniers du Sonderkommando. S'y trouvaient aussi les moteurs électriques qui faisaient fonctionner l'ascenseur et la ventilation. Un prisonnier mécanicien était affecté à les faire fonctionner.

L’annexe du Mühlverbrennung et la cheminée :
Côté portail principal du crématoire, il y avait, au milieu du bâtiment et dépassant vers l'avant, une annexe contenant le four pour brûler les ordures. C'était le Mühlverbrennung. C'était un four séparé auquel on accédait par un escalier menant vers le bas. Il était entouré d'une rampe en fer et on le chauffait au charbon. On accédait à l'annexe du Mühlverbrennung par une porte du côté du portail principal du crématoire. Outre une porte d'entrée, cette annexe avait, côté frontal, une fenêtre et en plus une fenêtre de chaque côté de l'entrée, à gauche et à droite. Dans le coin à gauche de l'entrée, il y avait une ouverture par laquelle on jetait dans le cendrier les ordures à brûler. Le four où on brûlait ces ordures était situé à gauche de l'entrée de cette annexe et à droite était le foyer pour faire chauffer le four. Je précise que c'est dans ce four justement qu'on brûlait pendant tout ce temps des documents en provenance du bureau politique du camp. De temps en temps, les SS amenaient dans des camions des dossiers, papiers, fichiers et documents, que nous brûlions sous leur surveillance. En brûlant ces documents, j'ai remarqué qu'il y avait là des tas de fichiers des gens morts et des Totenmeldung. Bien sûr nous ne pouvions prendre aucun de ces documents, car nous les brûlions sous une surveillance directe et stricte des SS. Derrière l'annexe du Mühlverbrennung, plus loin vers le fond du crématoire, se trouvait la cheminée qui desservait tous les fours crématoires et le four du Mühlverbrennung. Au début, il y avait autour de cette cheminée trois moteurs électriques pour la faire mieux tirer. À cause de la chaleur qui régnait juste à côté mais aussi à proximité du four, ces moteurs tombaient en panne. Une fois même, un incendie a éclaté ; on les a donc démontés et ensuite les conduits des gaz d'échappement des fours donnaient directement dans la cheminée. De l'annexe du Mühlverbrennung, une porte menait à cette partie du bâtiment où se trouvait la cheminée. Cette partie était surélevée et on y accédait par un escalier. Après le démontage des moteurs, des lavabos ont été installés sur un emplacement près de la cheminée pour les prisonniers du Sonderkommando et sur un autre, à l'opposé, donc plus près du vestiaire, une pièce a été aménagée où dormait parfois l'Oberkapo August. D'habitude, il dormait dans le Block des Reichsdeutscher, d'abord dans le secteur BIb, ensuite dans le secteur BIId. Dans le grenier au-dessus du Mühlverbrennung on faisait sécher les cheveux coupés aux victimes, on les aérait avant de les emballer dans des sacs emportés ensuite en voiture.

Le fonctionnement des fours du K II :
Comme je l'ai déjà mentionné plus haut, le crématoire II avait cinq fours. Chaque four, alimenté par deux générateurs à coke, avait trois foyers pour brûler les cadavres. Les sorties des conduits à feu de ces générateurs se trouvaient au-dessus des cendriers des deux foyers latéraux, placés de manière à faire passer le feu d'abord dans les deux foyers latéraux, le faire pénétrer ensuite dans le foyer du milieu et, de là, faire évacuer les gaz d'échappement en direction de la cheminée, par un conduit orienté vers le bas. La sortie du conduit des gaz d'échappement se situait côté foyer, au-dessous du four crématoire, entre les deux générateurs. Du fait de cette disposition, le processus d'incinération des corps n'était pas le même dans les foyers situés sur les côtés et dans celui du milieu. Les corps des "musulmans" c'est-à-dire les corps très maigres et dépourvus de graisse, brûlaient plus vite dans les foyers latéraux et moins bien dans celui du milieu. Inversement, les corps de ceux qu'on a gazés directement après leur arrivée, qui n'étaient donc pas amaigris, brûlaient mieux dans le foyer du milieu. Pour brûler ces corps, nous n'utilisions du coke qu'au début, pour attiser le feu. En effet, les corps gras brûlaient seuls, grâce à la graisse qui se consumait à l'intérieur du corps. En cas de manque de coke, il nous arrivait même de mettre de la paille et du bois dans les cendriers sous les foyers et, dès que la graisse des corps commençait à brûler, les chargements entiers se consumaient d'eux-mêmes. À l'intérieur du foyer, il n'y avait aucune pièce en fer, les grilles étaient réfractaires. En effet, la chaleur qui se dégageait et qui avoisinait les 1000 à 1200° C aurait fait fendre le fer. Les grilles étaient placées en travers dans le foyer. La porte d'accès et l'ouverture du foyer étaient plus petites, le foyer lui-même était long d'environ deux mètres, large de 80 cm et haut d'environ un mètre. En règle générale, on brûlait dans un foyer de quatre à cinq cadavres. Il arrivait que nous y enfournions même davantage. On y mettait jusqu'à huit "musulmans". Nous brûlions de tels chargements importants pendant des alertes antiaériennes sans en informer le chef du crématoire. Nous voulions en effet que la fumée qui s'échappait de la cheminée fut la plus grande possible pour la faire remarquer des pilotes d'avion. Nous espérions provoquer ainsi un changement dans nos existences. Les parties en fer, et surtout les grilles en fer, qui se trouvent à ce jour sur le terrain du camp proviennent des générateurs. Le crématoire II était muni de grilles en fer équarri, épaisses, et les crématoires IV et V possédaient des grilles-lances en forme d'épée avec une poignée.

Une « démonstration » pour le bureau politique :
Le 4 mars, nous avons été employés à faire chauffer les générateurs. Nous l'avons fait du matin jusqu'à environ quatre heures de l'après-midi. Une commission du bureau politique, accompagnée d'officiers SS de haut rang venant de Berlin, est arrivée au crématoire. Des civils et des ingénieurs de chez "Topf" y participaient aussi. Je me souviens seulement de quelques personnes, membres de la commission, comme l'Hauptscharführer Sohraz ... (illisible), le Lagerkommandant Aumeier et l'Oberscharführer Quakernack. Dès l'arrivée de la commission, on nous a ordonné de sortir des corps de la remise à cadavres et de les mettre dans les foyers. Nous avons trouvé dans cette pièce environ 45 hommes, bien nourris et gras. J'ignorais alors comment et quand ces corps y avaient été mis. Plus tard seulement j'ai appris qu'ils avaient été sélectionnés parmi les gazés du Bunker 2 situé dans la forêt. En effet, un officier SS du bureau politique y était allé et avait ordonné de choisir, parmi les gazés, des corps de personnes bien faites et grasses, les a fait charger dans des camions et les a fait emporter en dehors du Bunker. Les prisonniers du Sonderkommando qui y travaillaient ne savaient pas où ces corps avaient été emportés. Il s'est avéré qu'ils allaient être utilisés pour essayer les fours et faire une démonstration devant la nombreuse commission du bon fonctionnement du crématoire II qu'on s'apprêtait alors à mettre en service. De l'ascenseur et par la porte qui menait à la hajcownia, nous avons sorti ces corps et les avons placés, par deux ou trois, sur un chariot semblable à celui que j'ai décrit à propos du crématoire I et nous les avons enfournés dans chacun des foyers. Une fois tous ces cadavres placés dans les foyers des cinq fours, les membres de la commission, montre en main, se sont mis à observer le déroulement du processus d'incinération. Ils ouvraient les portes, regardaient leurs montres, discutaient entre eux et s'étonnaient de voir que cela durait si longtemps. Étant donné que ces fours étaient complètement neufs et donc pas assez chauds, alors même qu'on les avait fait chauffer depuis le matin, l'incinération du chargement a pris 40 minutes. Le fonctionnement en continu des fours permettait d'effectuer deux chargements en une heure. Selon le règlement, nous devions mettre de nouveaux corps toutes les demi-heures. L'Oberkapo August nous expliquait que, selon les calculs et les plans effectués, de cinq à sept minutes étaient prévues pour brûler un corps dans un foyer. En règle générale, il nous interdisait de mettre plus de trois cadavres dans un foyer. Avec une telle quantité, nous aurions été obligés de travailler sans arrêt : après avoir chargé le dernier foyer, le chargement du premier aurait déjà brûlé. Pour nous ménager un temps de répit dans le travail, nous mettions dans chacun de quatre à cinq cadavres. L'incinération durait plus longtemps et nous avions quelques minutes d'interruption avant la fin du processus dans le premier foyer. Nous en profitions pour arroser le sol de la hajkownia, ce qui assainissait un peu l'air.
Une fois terminée l'incinération de ce premier chargement d'essais, la commission est repartie. Nous avons fait le ménage dans le crématoire et après nous être lavés, nous avons été reconduits au Block 2 du camp BIb. Durant les 10 jours qui ont suivi, nous allions tous les jours, toujours escortés par des SS, au crématoire, et faisions marcher les générateurs. Pendant cette période, il n'y avait pas de transports, nous ne brûlions pas de corps et les générateurs fonctionnaient pour faire chauffer les fours.

Un transport particulier en mars 43 :
À la mi-mars 43, un soir, alors que nous venions de terminer notre travail, l'Hauptscharführer Hirsch est arrivé et nous a ordonné de rester au crématoire pour travailler. À la tombée de la nuit, des camions sont arrivés avec des gens, tous âges et sexes confondus : des hommes âgés, des femmes et beaucoup d'enfants. Les camions faisaient en continu des aller retours en direction de la gare pendant une heure environ et amenaient de plus en plus de gens. Dès le début, nous, qui appartenions au Sonderkommando, avions été enfermés dans la pièce du fond, celle où habitaient les médecins légistes. Des cris et des pleurs des gens déchargés des camions nous parvenaient jusque dans cette pièce. Ces gens étaient poussés à grand renfort de coups dans la baraque, située à l'époque perpendiculairement au bâtiment du crématoire, côté portail principal du crématoire II. Les gens y entraient par une porte située du côté de ce portail, descendaient par un escalier en face du Mühlverbrennung. Cette baraque faisait alors office de vestiaire. Mais elle a été utilisée seulement pendant une semaine à peu près et démontée ensuite. Après le démontage de cette baraque, les gens étaient poussés dans le sous-sol du crématoire par l'escalier qui menait au vestiaire souterrain que j'ai décrit auparavant. Après une attente d'environ deux heures, on nous a fait sortir de la salle des médecins légistes et on nous a ordonné de nous rendre dans la chambre à gaz. Il y avait là des tas de cadavres nus, tous dans une position on dirait assis. Les corps étaient de couleur rose, par endroits un peu plus rouges et ailleurs avec des taches verdâtres, de la bave au coin des lèvres, certains avec du sang coulant du nez, dans la plupart des cas, on voyait des selles. Je me rappelle que de nombreuses personnes avaient les yeux ouverts et étaient accrochées les unes aux autres ; le plus grand tas de corps se trouvait près de la porte. Ils étaient moins nombreux près des piliers avec le grillage. La position de leur corps indiquait que ces gens avaient essayé de fuir ces piliers pour parvenir à la porte. Il faisait très chaud dans la chambre à gaz et c'était difficile à supporter. Nous avons constaté plus tard que beaucoup de ces gens étaient morts par asphyxie avant d'être gazés. Ces gens-là étaient couchés tout au fond, en dessous, et les autres les avaient piétinés. Ils n'étaient pas assis comme la plupart mais couchés tout en dessous. On pouvait en déduire qu'ils étaient morts avant les autres qui devaient marcher sur leurs cadavres. Après avoir entassé les gens dans la chambre à gaz et fermé la porte, et avant de verser le zyklon, on aspirait l'air de la chambre avec la ventilation. C'était un système aspirant et foulant. Le vestiaire avait seulement la ventilation aspirante. Bien qu'on mît en marche la ventilation dès l'ouverture de la chambre, une fois à l'intérieur de la chambre, nous portions des masques à gaz pendant les premiers moments où nous y entrions pour sortir les cadavres. Comme nous étions obligés de retourner travailler au four, nous n'avons pas sorti les cadavres de ce premier transport en mars 43. On a fait alors venir 70 prisonniers du Block 2 appartenant au Sonderkommando, préposés à incinérer les corps dans les fosses près des Bunkers. Les prisonniers de ce groupe sortaient les corps de la chambre à gaz dans le couloir à côté de l'ascenseur, là, le coiffeur coupait les cheveux des femmes, ensuite on faisait monter les corps par l'ascenseur dans la hajkownia. Là, soit-on les entreposait dans la pièce à cadavres, soit on les mettait dans la hajkownia devant les fours. Là, deux dentistes, surveillés par des SS, arrachaient les dents en métal et enlevaient les dentiers. Ce sont eux aussi qui débarrassaient les cadavres de bagues et de boucles d'oreilles. On jetait les dents dans un coffre portant l'inscription Zahnartstation et les bijoux dans un autre. Celui-ci n'avait aucune inscription, mais un numéro y était marqué. Les dentistes, qui étaient recrutés parmi les prisonniers, regardaient dans la bouche de chaque cadavre, à l'exception des enfants. Lorsque les mâchoires étaient crispées, ils les desserraient à l'aide des pinces dont ils se servaient pour arracher les dents. Comme je l'ai déjà mentionné, le travail effectué par les dentistes était très étroitement surveillé par les SS. De temps en temps, ils faisaient arrêter le chargement des corps dans les fours, corps déjà "travaillés" par les dentistes, et regardaient dans les bouches. Il arrivait qu'une dent en or n'avait pas été arrachée. Un tel oubli était considéré comme du sabotage.

Meurtre et tortures des membres des Sonderkommandos :
J'ai été moi-même témoin d'une telle scène où un Juif Français avait été brûlé dans le crématoire V. Il se débattait, criait, mais les SS, à plusieurs, l'ont attrapé, immobilisé et mis vivant dans le four. Brûler quelqu'un vivant était une punition utilisée souvent à l'égard des membres du Sonderkommando, mais pas la seule. D'autres tortures étaient pratiquées aussi : tuer sur place, jeter dans le réservoir d'eau, maltraiter physiquement, battre, obliger à se rouler nu sur le sol, sur le gravier, etc... Tous les membres du Sonderkommando y assistaient pour l'effet de dissuasion.
Je me souviens d'un autre cas qui a eu lieu au crématoire V en août 44. On a trouvé alors une bague et une montre en or sur un des simples ouvriers, un Juif de Wolbrom du nom de Lejb, âgé d'environ 20 ans, de petite taille, aux cheveux bruns, matricule 108 000 et quelques. On a donc fait regrouper toute l’équipe du Sonderkommando employée aux crématoires et, devant tout le monde, on l'a suspendu sur une barre de fer au-dessus des générateurs, les mains ligotées dans le dos. Il y est resté ainsi accroché environ une heure. Ensuite, après avoir défait les liens de ses mains et de ses pieds, on l'a mis dans le four crématoire non chauffé. Par en-dessous le cendrier, on allumait et on éteignait de l'essence pour faire pénétrer les flammes à l'intérieur du foyer où se trouvait ce Lejb. Quelques minutes plus tard, on a ouvert le four d'où le condamné est sorti en courant, complètement brûlé. On l'a fait courir autour de la cour du crématoire et crier qu'il était un voleur. Ensuite, on lui a ordonné de grimper sur les barbelés de la clôture du crématoire qui, du fait que c'était en plein jour, n'étaient pas sous tension électrique. Lorsqu'il était tout en haut des barbelés, le chef du crématoire, Moll, l'a tué. Le prénom de Moll était Otto.
Une autre fois, les SS ont amené un prisonnier qui traînait dans son travail et l'ont jeté dans la fosse remplie de graisse humaine bouillante. À l'époque, on brûlait les corps dans des fosses ouvertes, d'où la graisse humaine s'écoulait vers une deuxième fosse, dans la terre, séparée. On versait cette graisse sur les corps à brûler pour accélérer le processus d'incinération. Le malheureux a été retiré encore vivant de cette fosse à graisse et tué. Par pure formalité, on a ramené son corps au Block, on y a établi un Totenschein et seulement le lendemain on a transporté le corps au crématoire et on l’a brûlé dans la fosse.

Mars à avril 43 au K II :
Nous avons travaillé pendant 48 heures d'affilée à incinérer les corps de ce premier transport à la mi-mars 43. Nous ne sommes pas parvenus à les brûler tous, car entre-temps est arrivé un convoi de Grèce qui avait été gazé lui aussi. Comme nous étions trop fatigués, épuisés, on nous a ramenés au Block et le travail a été repris par une autre relève. Le Sonderkommando qui travaillait alors au crématoire comptait environ 400 prisonniers. J'ai travaillé au crématoire II jusqu'à la mi-avril à peu près. Pendant ce temps, arrivaient des convois de Grecs, Français et Hollandais. En plus, nous brûlions à ce moment-là des gens gazés qui provenaient des sélections menées à l'intérieur du camp. Nous travaillions en continu, en deux relèves, nuit et jour. Je ne peux pas donner le nombre de gazés et brûlés à cette époque-là. En moyenne, on brûlait environ 2 500 cadavres en 24 heures. Je n'avais pas à ce moment-là la possibilité d'observer comment on faisait rentrer les victimes dans le vestiaire et du vestiaire dans les chambres à gaz. Lorsque les convois arrivaient, nous, l'équipe du Sonderkommando, étions enfermés dans l'entrepôt de coke. Toutefois, deux d'entre nous, préposés au fonctionnement des générateurs, restaient dans la hajcownia. Il m'est arrivé parfois de faire partie de cette équipe.

Le versement du Zyklon :
Par la fenêtre de la hajcownia, j'ai observé comment était versé le zyklon dans la chambre à gaz. Chaque transport était suivi d'une voiture de la Croix-Rouge. Mengele, le médecin du camp, arrivait dans cette voiture sur le terrain du crématoire, accompagné du Rottenfüher Scheinmetz. Ils sortaient des boîtes de zyklon de cette voiture de la Croix-Rouge dans laquelle ils venaient d'arriver, les portaient près des cheminées qu'on utilisait pour verser le zyklon dans la chambre à gaz. Scheimetz les ouvrait à l'aide d'un ciseau spécial et d'un marteau, puis il versait leur contenu dans la chambre à gaz et refermait l'ouverture avec un couvercle en béton. Comme je l'ai déjà mentionné, il y en avait quatre, de ces cheminées. Dans chacune d'entre elles, Scheimetz versait le contenu d'une plus petite boîte. C'étaient des boîtes avec une étiquette jaune. Avant d'en ouvrir une, il mettait un masque à gaz. Le masque à gaz sur la tête, il ouvrait la boîte de zyklon, vidait son contenu dans la cheminée de la chambre à gaz. À part Scheinmetz, d'autres SS remplissaient cette tâche aussi. Ils y étaient spécialement affectés et appartenaient à l'unité Gesundheitowesen. Je ne me rappelle pas leur nom. Un médecin du camp assistait à chaque gazage. J'ai déjà mentionné Mengele, car je l'ai très souvent rencontré pendant le temps de mon travail. À part lui, d'autres médecins du camp assistaient au gazage : König, Thilo et encore un autre, mince, de haute taille, jeune et dont je me rappelle pas le nom maintenant. C'était celui qui, lors des sélections, envoyait tout le monde à la chambre à gaz. Je me souviens avoir entendu une fois Mengele dire à Scheimetz de "donner plus vite à bouffer aux victimes dans la chambre à gaz pour qu'elles pussent aller à Katowice". Il a dit exactement : "Scheimetz, gibt ihnen das Fressen, sie sollen direckt nach Kattowitz fahren". Ce qui voulait dire que Scheimetz devait se dépêcher de verser le Zyklon dans la chambre à gaz. J'ai aussi remarqué pendant mon travail au crématoire II que les SS qui escortaient les convois arrivant au crématoire avaient des chiens et tenaient des cravaches à la main.

Procédés dans la hajcownia :
Le chariot pour charger les corps n'a été utilisé que peu de temps au crématoire II. Il a été remplacé par une civière en fer (en allemand, on l'appelait Leichenbrett) que l'on faisait glisser dans le foyer sur des roues en fer placées sur le rebord de la porte du foyer. On l'a fait parce que l'utilisation du chariot retardait le chargement du four. Ce nouvel outil a été inventé par l'Oberkapo August, me semble-t-il. Il a été utilisé par la suite dans tous les crématoires. Pour tous les fours des crématoires II et III, il n'y avait qu'une paire de roues pour les trois foyers qu'on déplaçait sur une barre en fer devant la porte du foyer. Dans les crématoires IV et V, chaque foyer possédait ses propres roues montées sur une table devant la porte. Chaque crématoire possédait deux civières en fer pour charger les corps dans les fours. Ces "planches" étaient placées devant le foyer.

Brûler les corps :
Deux prisonniers y mettaient un corps. Ils le plaçaient sur le dos, les jambes en avant, vers le foyer, le visage vers le haut. Sur ce corps, ils en mettaient un autre, le visage vers le haut aussi, la tête côté foyer. On procédait de la sorte car ce deuxième corps maintenait les jambes du premier, placé en dessous, et aussi pour ne pas être obligé de pousser les jambes du deuxième corps qui était comme aspirées par le four. Deux prisonniers chargeaient les corps sur la civière, deux autres étaient à côté de la barre placée sous la civière, à l'autre extrémité plus près du foyer. Pendant qu'on chargeait les corps sur la civière, l'un d'eux ouvrait la porte et l'autre installait les roues. Un 5è prisonnier soulevait la civière à l'aide de poignées et, une fois celle-ci soulevée par les deux précédents et placée sur les deux roues, il poussait la civière à l'intérieur du foyer. Une fois les corps dedans, un 6è prisonnier les retenait au fond du foyer à l'aide d'une ratissoire et le cinquième retirait la civière de sous les corps. Ce sixième avait aussi pour tâche d'asperger d'eau la civière sortie du four. Il le faisait pour faire refroidir la civière qui se réchauffait à l'intérieur du four et pour empêcher de coller les nouveaux corps placés dessus. On faisait dissoudre du savon dans cette eau pour faire glisser les corps plus facilement sur la civière. Un deuxième chargement dans le même foyer, par le même processus d'incinération, se déroulait de la même manière, sauf que nous devions nous dépêcher beaucoup avec ce deuxième chargement car le premier étant en train de brûler, les jambes et les bras se soulevaient et en cas de retard, nous avions des difficultés à enfourner la deuxième paire de cadavres. Lors du chargement de cette deuxième paire, j'ai eu l'occasion d'observer le processus d'incinération des cadavres. On avait l'impression que les corps se tendaient au niveau du tronc, les bras se relevaient vers le haut en raccourcissant, la même chose pour les jambes. Des cloques se formaient sur le corps et, quand c'étaient des personnes âgées, restées après le gazage jusqu'à même deux jours dans la remise à cadavres et dont les corps, tuméfiés, avaient gonflé, leur diaphragme éclatait, laissant sortir les intestins. J'ai pu aussi observer ce processus au moment de ratisser le four pour faire accélérer l'incinération. De toute façon, après chaque chargement le Kommandoführer vérifiait si celui-ci avait été correctement effectué. Nous étions obligés d'ouvrir la porte de chaque foyer et par la même occasion, nous pouvions voir ce qui s'y passait. Nous brûlions les corps d'enfants en même temps que ceux des adultes âgés. D'abord nous mettions les corps de deux adultes et ensuite autant d'enfants qu'il était possible de mettre dans le foyer. Le plus souvent, les corps de cinq à six enfants. Nous procédions de la sorte pour ne pas mettre les corps d'enfants directement sur les grilles. Ces dernières étant largement espacées, les corps d'enfants risquaient de tomber dans le cendrier. Les corps de femmes brûlaient nettement plus vite et mieux que les corps d'hommes. C'est pour cette raison que nous recherchions un corps de femme lorsque le convoi brûlait mal et nous le mettions dans le four pour accélérer le processus d'incinération. À l'époque des premiers chargements, quand seuls les générateurs chauffaient les fours, l'incinération se déroulait plus lentement. Plus tard, au fur et à mesure que le nombre des chargements augmentait, les fours devenaient de plus en plus chauds grâce à la chaleur accumulée pendant l'incinération, de sorte qu'on arrêtait complètement les générateurs pendant qu'on brûlait des corps gras. Des corps mis dans un four aussi chaud, la graisse dégoulinait immédiatement dans le cendrier, elle s'y enflammait et faisait brûler les corps. Quand on brûlait les "musulmans" on était obligé de faire fonctionner les générateurs en continu. Le Vorarbeiter notait dans un calepin le nombre de corps brûlés par chargement, le Kommandoführer SS vérifiait ces notes et emportait le calepin une fois tout le transport brûlé.

Le personnel SS :
Chaque relève de notre Sonderkommando était accompagnée d'un groupe différent de gardiens SS et d'autres Kommandoführer. Parmi ces derniers, je me rappelle les SS suivants : Gorges, Knaus, Kurschuss, Schultz, Köln et Keller. Ce Scheinmetz, que j'ai déjà mentionné, était le Kommandoführer du crématoire IV pendant un certain temps. Tous les Kommandoführer maltraitaient les prisonniers du Sonderkommando qui travaillaient aux crématoires. De temps en temps, ça prenait de telles proportions, qu'une fois, Voss, le chef du crématoire, qui quelques temps plus tard avait été muté à un autre poste, avait réprimandé le Kommandoführer Gorges qui nous maltraitait de manière bestiale, uniquement parce qu'il n'y avait pas de travail aux crématoires car aucun transport n'était arrivé. Il a dit alors : "Wenn du hast nicht was zu umlegen, dann bist du wild, ich habe das schon genug". À part le sus-mentionné Voss, ont été chefs du crématoire à des moments divers : l'Unterscharführer Steinberg, les Hauptscharführer Hirsch et Moll, le Scharführer Puch et l'Oberscharführer Muhsfeld, venu de Lublin après la liquidation du crématoire dans cette ville.

Une description de Moll :
Le plus grand pervers parmi eux était l'Hauptscharführer Moll. Avant mon arrivée au camp, il était chef de travaux dans les Bunkers où on brûlait les gazés dans des fosses. Après, il a été transféré dans une autre unité pendant quelques temps. La direction de l'ensemble des crématoires lui a été confiée à l'occasion des préparatifs pour réceptionner les transports en masse des Juifs hongrois en 1944. C'est lui qui a préparé l'action de destruction massive des gens arrivés par ces convois. Avant même l'arrivée des convois de Hongrois, il a fait creuser des fosses à côté du crématoire V et a remis en marche le Bunker 2, non utilisé, et ses fosses, fermées jusqu'alors. Dans la cour du crématoire, il a fait installer des panneaux où il était écrit que les gens arrivés par les transports devaient aller au camp où du travail les attendait, mais auparavant ils devaient se laver et subir une désinfection. Pour ce faire, ils devaient se déshabiller, mettre tous leurs objets de valeur dans des paniers spécialement prévus à cet effet, placés dans la cour. Il le répétait aussi lui-même lors des cérémonies d'accueil qu'il organisait pour les gens arrivés lors des transports. Ces convois étaient très nombreux et il arrivait que les chambres à gaz du crématoire V ne pouvaient contenir tous les arrivants de ces transports. Il fusillait alors ceux qui restaient et qui ne rentreraient plus dans les chambres à gaz. A de nombreuses reprises, il a poussé les gens vivants dans les fosses qui étaient en train de brûler. Il s'exerçait à tirer à distance sur les gens. Il maltraitait les prisonniers du Sonderkommando, les battait, les traitait comme des animaux. Les prisonnières affectées à son service racontaient qu'ils sortait, à l'aide d'un fil de fer, des coffres où on mettait des objets de valeur volés aux gens arrivés dans les transports, des objets en or, les mettait dans sa serviette et les gardait pour lui. Parmi les affaires laissées par les gens gazés, il choisissait pour lui des manteaux de fourrure et beaucoup de produits alimentaires, surtout de la graisse. A de tels moments, il se tournait en souriant vers les SS qui encerclaient les gens, et leur disait qu'il fallait s'occuper des provisions car des jours maigres finiraient par arriver aussi.

Effectifs des Sonderkommandos :
Sous son commandement, le Sonderkommando a atteint le nombre de 1.000 prisonniers environ. Au début, lorsque j'ai été affecté au travail dans le Sonderkommando, il comptait environ 400 personnes et ce nombre s'est maintenu jusqu'en janvier ou février 44. Durant l'un de ces mois, environ 300 prisonniers ont été envoyés dans un convoi à Lublin. Entre temps, environ 50 nouveaux prisonniers étaient affectés au Sonderkommando par semaine, mais ils étaient si nombreux à mourir que, malgré cette arrivée hebdomadaire, le Sonderkommando ne comptait pas plus de 400 prisonniers. Après l'envoi du convoi à Lublin, nous sommes restés environ 100. Vingt Russes, l'Allemand Karol et le Kapo Russe nous ont été affectés. Plusieurs dizaines de prisonniers ont aussi été transférés dans notre Sonderkommando, entre autres des gens préposés à l'incinération dans le crématoire I à Auschwitz. Le Sonderkommando comptait environ 160 prisonniers au mois d'avril 44. À la fin de ce mois-là, ses effectifs ont été augmentés jusqu'à environ 1.000 prisonniers en raison des convois de Hongrie.

L'évidence de la révolte :
L'attitude de Moll et des SS de son entourage à notre égard, le genre de travail qu'il nous faisait faire, et qui consistait à faire brûler tous ces convois Hongrois, nous ont conduit au désespoir. Après avoir établi le contact avec le camp et le monde extérieur, nous avons décidé de nous insurger et soit de nous libérer, soit de mourir. Nous avons fixé la date au mois de juin 44. Je ne me souviens pas de la date exacte. Notre insurrection n'a pas eu lieu. Comme les préparatifs étaient terminés et des gens, tenus à l'écart jusqu'alors, mis au courant, une fois notre insurrection découverte cette affaire a causé beaucoup de dégâts, et son dévoilement la mort de nombreuses personnes. Le premier fusillé, peu de temps après la date butoir de notre insurrection, a été notre Kapo, Kaminski. Depuis ce jour là, pour empêcher tout contact avec le monde extérieur, on nous a transférés au crématoire IV. Environ 200 prisonniers parmi les transférés ont été sélectionnés et envoyés à la chambre à gaz. Ils ont été gazés dans la pièce de désinfection, le « Kanada » à Auschwitz, et brûlés dans le crématoire II par les SS, ceux-là mêmes qui y travaillaient. La situation devenait de plus en plus difficile pour nous.

La révolte :
Bien que gardés et contrôlés avec une vigilance redoublée, nous avons décidé de nous échapper du camp à tout prix. Après des préparatifs en ce sens, l'insurrection a éclaté en septembre 44 au crématoire IV et s'est élargie au crématoire II. Pendant cette insurrection, nous avons tué 25 à 30 SS au crématoire IV, avant de nous disperser. Avant cela, nous avons mis le feu au crématoire IV et l'avons fait sauter. Une alerte a été déclenchée, des SS ont encerclé tous les crématoires et capturé presque tous les prisonniers en train de se disperser. Suite à cette insurrection, seules environ 190 personnes sur 1 000 sont restées en vie. Les autres ont été regroupés au crématoire III et déplacés ensuite au Block 11 secteur BIId. De là, 100 prisonniers ont été envoyés dans un convoi, 30 autres mutés au crématoire V pour brûler les corps et les 60 derniers habitaient au Block 11 et travaillaient dans l'Abbruchkommando. Ce commando travaillait au démontage des crématoires II et III qui devaient être transportés à Gross Rosen. Quelque temps après, les 30 préposés au travail au crématoire V ont été transférés au Block 11. Ainsi, au moment de la liquidation du camp, ne reste-t-il du Sonderkommando qu'environ 90 prisonniers. Le 18 janvier 45, on nous a fait sortir du camp, nous et les prisonniers des autres Blocks, on nous a fait marcher jusqu'à Auschwitz et de là, en direction du Reich. Après une vingtaine de kilomètres, je me suis enfui et j'ai ainsi sauvé ma vie.

Les médecins au Sonderkommando :
Comme je l'ai déjà mentionné, quatre médecins légistes faisaient partie du Sonderkommando. Au départ, ils ont habité avec nous au Block, ensuite ils ont été placés dans une pièce à côté d'un entrepôt de coke dans le crématoire II. Ces médecins ont procédé aux autopsies dans une pièce spéciale aménagée dans les crématoires II et III situées chacune au rez-de-chaussée. Il y avait là une grande table en pierre sur laquelle les médecins effectuaient les autopsies. Pour ces dernières, on sélectionnait les corps des prisonniers morts à l'infirmerie ainsi que certains cadavres des fusillés dans le couloir situé entre le vestiaire et la chambre à gaz. La plupart du temps, c'était Moll lui-même qui tuait les prisonniers, amenés des Bunkers du Block 11 ou d'Auschwitz. Très souvent, quand on amenait des prisonniers pour les faire fusiller, un Unterscharführer dont j'ignore le nom, arrivait et prélevait sur les cadavres des fusillés de gros morceaux de chair. Il mettait dans des coffres ou dans des seaux les parties de corps humains prélevés au niveau des cuisses ou des fesses et les emportait ensuite en voiture en dehors du camp. Je ne sais pas pourquoi ils le faisaient. Les médecins légistes établissaient un procès-verbal de l'autopsie qui était emporté ensuite par le médecin SS.

Les différents crématoires :
En 1943, c'était à la mi-avril, j'ai été transféré dans le crématoire IV qui était le deuxième à être mis en service à cette époque. Par la suite, toujours dans la première moitié de l'année 43 ans, le crématoire V a été mis en service et à la fin de l'année, le crématoire III. Le crématoire III était construit sur le même modèle que le II à cette différence près que dans celui-ci on n'utilisait pas du tout, et depuis le début, de chariots pour charger les corps dans le four. Dans la pièce à côté de l'entrepôt de coke, où habitaient les médecins dans le crématoire II, dans le III, des Goldarbeiter transformaient en lingots d'or des dents arrachées. Les crématoires IV et V ont été construits d'après les mêmes plans, symétriquement des deux côtés de la route située entre le camp BII et le "Mexique", en direction du nouveau sauna. Chacun de ces crématoires possédait des fours à quatre foyers [moufles]. Les foyers de chaque four étaient disposés 2 par 2 de chaque côté du four. Un générateur chauffait deux foyers, situés dans une moitié de chaque four. Chaque four possédait sa propre cheminée. Aussi bien le vestiaire que les chambres à gaz des crématoires IV et V étaient situés en surface. Le bâtiment où ils étaient placés était nettement plus petit que la hajcownia et il ressemblait plutôt à une annexe du crématoire. Le couloir étroit, adjacent à la hajcownia en direction du vestiaire, était muni de quatre portes intérieures. Celles-ci donnaient accès, à chaque bout du couloir, à la hajcownia et au vestiaire. Il y avait dans le vestiaire quatre petites fenêtres munies de de grillage en fer, côté intérieur. Une autre porte donnait du vestiaire dans le couloir où se trouvait la porte d'entrée de la cour du crématoire. Outre la porte d'entrée, ce même mur avait deux fenêtres. Une autre porte, située en face de la porte d'entrée du couloir menait dans une pièce à une fenêtre qui était la cuisine des SS travaillant aux crématoires. Les plats y étaient préparés par des prisonniers du Sonderkommando. Ces pièces étaient voisines de celles où habitaient les prisonniers du Sonderkommando. Dans le crématoire V, les cordonniers, les tailleurs et les menuisiers du Sonderkommando travaillaient dans cette pièce ; dans le crématoire II en revanche, étaient entreposés les cheveux coupés aux cadavres gazés. Une troisième porte située dans ce couloir menait à un autre, plus petit, qui avait une fenêtre munie d'une grille et une porte donnant sur la cour du crématoire. Une porte située dans ce couloir, à droite de la porte d'entrée, menait à la première chambre à gaz ; une porte située en face de la porte d'entrée menait à une chambre plus petite d'où on accédait à la dernière chambre, la plus grande. Aussi bien ce deuxième couloir que les trois suivants et les toilettes mentionnées auparavant étaient utilisées comme chambres à gaz. Ils étaient tous équipés de portes isolantes, de fenêtres grillagées de l'intérieur et possédaient des volets extérieurs isolants contre le gaz. Par ces fenêtres, accessibles de l'extérieur à un homme, la main tendue, on versait le gaz à l'intérieur des chambres à gaz remplies de gens.

Les chambres à gaz :
Ces chambres à gaz, hautes d'environ deux mètres, munies d'une installation électrique apparente sur les murs, étaient dépourvues d'aération. Les membres du Sonderkommando employés à sortir les cadavres portaient des masques à gaz. On traînait les corps sur le sol en passant par le couloir principal, où les coiffeurs leur coupaient les cheveux, jusqu'au vestiaire qui servait dans ce crématoire de remise à cadavres. C'était un grand atelier où on entreposait les cadavres pour pouvoir nettoyer les chambres à gaz. Du vestiaire, on traînait les cadavres à travers ce petit couloir entre la hajcownia et le vestiaire. À chaque extrémité du couloir, attendait un dentiste qui arrachait les dents en or. Le chargement des cadavres de la hajcownia dans les foyers s'effectuait à l'aide des civières en fer que j'ai déjà décrites auparavant. Derrière la hajcownia se situait la pièce du Kommandoführer et à côté, une plus petite destinée aux autres SS, ensuite un petit couloir, des WC pour les SS et l'entrepôt de coke.

A l'extérieur des crématoires :
Le bâtiment était en pierre, la charpente du toit était en bois et couverte de plaques d'amiante et de carton bitumé. Les cours de tous les crématoires étaient séparées du monde extérieur par des haies et des clôtures serrées en osier sur lesquelles étaient étendus des treillis en paille. Dans la cour, il y avait des tours miradors d'où des SS, mitraillette en main, surveillaient tout. Le terrain était entouré, en plus, de barbelés sous tension électrique et la cour vivement éclairée par des projecteurs.

Au moment des arrivées des Juifs de Hongrie :
En mai 44, les SS nous ont ordonné de creuser, dans la partie de la cour du crématoire V située entre la fosse septique et le bâtiment même du crématoire, cinq fosses dans lesquels on faisait brûler par la suite les gazés des convois de masse hongrois. Des rails et un wagonnet ont été placés entre ces fosses, mais nous n'utilisions pas ce dernier. Les SS les ayant déclarés inefficaces, les prisonniers du Sonderkommando traînaient les corps par terre et les jetaient directement dans les fosses.
À la même époque, l'ancien Bunker 2 et ses fosses ont été remis en fonction. Personnellement, je n'ai pas travaillé dans le Bunker 2. Comme il a été considéré que les fosses se prêtaient mieux à l'incinération des cadavres, les crématoires ont été fermés les uns après les autres. D'abord le IV en juin 44 me semble-t-il, ensuite les II et III en octobre 44. Le crématoire V a fonctionné jusqu'à la fuite des Allemands. Les derniers temps, on l'utilisait pour y faire brûler les corps de détenus morts où tués. Le gazage des gens a cessé en octobre 44.

Mémoires enterrées :
Je ne suis pas en mesure de donner aujourd'hui le chiffre exact de tous les gens gazés et brûlés dans les crématoires et les fosses. Certains prisonniers employés au crématoire notaient le nombre des gazés ou des événements significatifs qui s'y rattachaient. Ces notes ont été enterrées dans différents endroits à côté des crématoires. Une partie de ces notes a été déterrée pendant le séjour de la commission soviétique qui les avait emportés. Mais la plus grosse partie de ces notes devrait toujours être enfouie sous terre et il serait facile de les retrouver. Des photos de gazés dans la chambre à gaz et des convois arrivés au crématoire pour le gazage s'y trouvent, entre autres.

Tentative d'évaluation du nombre des victimes :
Selon les estimations, le nombre total de gazés dans les crématoires d'Auschwitz, pendant la période où j'y ai travaillé en tant que membre du Sonderkommando, s'élève à environ 2 millions de personnes. Durant mon séjour à Auschwitz, j'ai eu l'occasion de discuter avec d'autres prisonniers qui travaillaient dans les crématoires et les Bunkers d'Auschwitz avant mon arrivée. C'est eux qui m'ont dit qu'avant mon arrivée 2 millions de personnes avaient déjà été gazées dans les Bunkers 1 et 2 et dans le crématoire I. Je pense donc que le nombre de gazés à Auschwitz s'élève à environ 4 millions. Ce nombre inclut des transports de Juifs ou d'Aryens de tous les pays d'Europe ainsi que des personnes qui avaient été envoyées à la chambre à gaz à la suite des sélections effectuées au camp.

Démontage des crématoires :
Le démontage des crématoires d'Auschwitz a commencé à l'automne 44. Les parties démontées, entreposées sur une voie de garage, étaient chargées dans des trains. Une partie du matériel démonté est toujours Auschwitz, entreposé sur un terrain de construction qu'on appelle « Banhof » à Auschwitz I. Les Allemands n'ont pas eu le temps de le faire transférer. Il s'agit du wagonnet que j'ai décrit plus haut, des parties de l'installation d'aération, des montants de fours crématoires des crématoires IV et V, des portes métalliques de ces crématoires, des cendriers, des échafaudages et des grilles en fer pour fenêtres, des tisonniers pour les fours, des portes isolantes de chambres à gaz, des porte-manteaux et des bancs du vestiaire et encore d'autres parties métalliques ou en bois.

photo archives 1945 Tauber Dragon Sonderkommando Auschwitz
Les textes disponibles ici sont les dépositions des trois membres des Sonderkommandos qui témoignèrent lors du procès d’Auschwitz à Cracovie en 1947. Ils sont parus dans le livre "Des Voix sous la cendre" (voir la bibliographie). Il s’agit de :

Szlama DRAGON, né le 19 mars 1920 à Zeromin, en Pologne (à 100 km au NO de Varsovie). Sa famille fut déportée à Nowy Dwor puis au ghetto de Varsovie qu’il réussit à quitter avec son frère Abraham, leur petite sœur, leur petit frère et leur mère, pour Plonsk, puis le ghetto de Mlawa d’où ils arrivèrent à Auschwitz en décembre 1942. Après avoir passé la première sélection avec son frère, ils furent affectés au Sonderkommando trois jours après leur arrivée.
Lors de son décès en Israël en octobre 2001, l’historien des Sonderkommandos d’Auschwitz, Gideon Greif, qui l’avait rencontré et interviewé à de nombreuses reprises, a écrit une très belle page pour dire l’immensité de sa tristesse devant la mort de cet homme dont la perte est à la fois celle d’un témoin essentiel de l’histoire des Sonderkommandos, et celle d’un homme aux nombreuses qualités humaines dont G. Greif dit par exemple « Shlomo war dagegen tapfer, mutig, stolz und bestimmend » (Shlomo était courageux au contraire, fier et déterminé).

Alter FEINSILBER, né le 23 octobre 1910 à Stoczek, en Pologne (à 100 km à l’Est de Varsovie). Je ne rappellerai pas ici d’éléments de sa biographie parce qu’il l’évoque lui-même en guise d’introduction dans sa déposition. Je voudrais en revanche souligner cette très belle image de la France qui apparaît dans son témoignage. Elle est, bien entendu, tout à fait accessoire pour le sujet qui nous occupe (et peu réaliste, hélas) mais elle touche évidemment la Française que je suis. En effet, de son engagement dans la guerre d’Espagne, c’est par les camps de St Cyprien, Argelès, Drancy et Compiègne qu’il passe en France ! Pourtant voici le souvenir qu’il en garde : « La population française était bien disposée à l'égard des Juifs. Des Aryens se faisaient apposer dans leurs documents l'inscription "Juif" pour protester contre cette manière de traiter les Juifs. La police Française devait obéir aux ordres Allemands. Les Français ignoraient le sort réservé aux déportés à Auschwitz car, dans le cas contraire, ils se seraient manifestés, j'en suis persuadé, contre ces déportations. » 
Cet homme qui avait une si haute idée de la France est mort en septembre 1987 à Paris.

Henryk TAUBER, né le 08 juillet 1917 à Chrzanow, en Pologne (à l’ouest de Cracovie, tout près d’Auschwitz). Il est arrivé à Auschwitz le 19 janvier 43 après avoir vécu dans le ghetto de Cracovie puis avoir été mis en prison. Le mois suivant son arrivée (02 février 43), il a été affecté au Sonderkommando du K I et à celui du K III en mars 43 comme "chauffeur". Son témoignage sur les crématoires et les chambres à gaz, très détaillé, a été fondamental. Bien plus tard, ces informations ont complété et confirmé les recherches sur documents qu’a pu faire Jean-Claude Pressac (lorsque ceux-ci ont pu être consultés). Ce témoignage est donc extrêmement utile et précieux, grâce à sa précision et son authenticité en tout point. Sa lecture est en effet impressionnante, par la construction du propos et la capacité de recul alors que cette déposition n’a été faite qu’en mai 45.
Contrairement à son ami Shlomo Dragon (avec lequel il est parvenu à s’enfuir lors de la marche d’évacuation), il est parti vivre en France et aux Etats-Unis et c’est en novembre 1999 qu’il est mort à New Jersey.

 

[Page mise en ligne au printemps 2006]