Birkenau Bunker 1David Olère était un dessinateur, affichiste, peintre et sculpteur. Il a été affecté à un Sonderkommando à son arrivée en mars 43. Une page spécifique en six parties, consacrée à l'inestimable apport documentaire de son oeuvre, lui est par ailleurs consacrée sur ce site (lien ici).

L’objet de cette "page zoom" est un dessin particulier auquel l'artiste n'avait pas donné de titre et qui a été intitulé "Bunker 2".

Le Bunker 2 se trouve un peu à l’écart, à proximité du camp de Birkenau. C’était le second lieu mis en place pour l’extermination en 1942 (après le Bunker 1, utilisé lui aussi à partir de 1942 et démoli définitivement en 43, à une date qui n’est pas précise, jusqu’à ce jour aucun document d’archive ne nous ayant permis de la déterminer avec certitude). Ces deux "Bunkers" étaient de petits bâtiments reconvertis en chambres à gaz. (Pour plus de détails, voir les pages sur le site concernant ici le Bunker 1 et là le Bunker 2).

 

Plan de la zone du Bunker 2 à Birkenau (Musée d’Auschwitz- Birkenau)

 

 

A – Bunker 2.

C – Baraques de déshabillage.

D – Fosses de crémation et emplacement d’où aurait été effectué le dessin de David Olère (ci-dessous).

E – Rails et wagonnets (les "Loren") pour le transport des corps du Bunker aux fosses.

F – Zones où les cendres ont été répandues.

 

David Olère dessin Bunker

 

Dessin dit « Bunker 2» (D.Olère 1945).

 

Le Bunker 2 a servi à deux époques :

- avant que les 4 crématoires de Birkenau ne soient construits (et en même temps que le Bunker 1)

- puis lors de "l’action de Hongrie" (appellation nazie qui signifie la déportation et l'assassinat des Juifs de ce pays, en 44) parce que les crématoires ne suffisaient pas à l’ampleur de cette extermination (le Bunker 1 n’existait alors plus, ayant été démoli en 1943 à une date imprécise).


L’affectation de David Olère, les deux possibilités.

Si David Olère a été affecté en tant que Sonderkommando au Bunker 2, ce fut soit à la toute fin de la première période d’utilisation de ces chambres à gaz provisoires (fin du printemps ou début de l’été 43) soit un an après, lors de l’extermination des Juifs Hongrois (printemps / été 44).

Mais il a expliqué qu’à son arrivée au camp, il a été affecté à un commando de creuseurs avant d’être incorporé au Sonderkommando. Deux possibilités dans ce cas : soit il s’agissait de l’un des commandos creusant des drainages en divers endroits dans le camp et en dehors (drainages nécessaires du fait de la nature marécageuse du terrain) et donc sans rapport avec le Sonderkommando ; soit plus vraisemblablement il s’agissait du creusement de fosses.

David Olère aurait ainsi été affecté à un "Begrabungskommando", l’un de ces commandos de travail décrits par Abraham André Balbin qui en a fait partie, dont le travail était de creuser des fosses durant le jour puis d’y amener et décharger le soir les charrettes de prisonniers morts dans le camp durant la journée. Il semble que les membres de ce commando aient ensuite été très majoritairement envoyés dans un Sonderkommando.

Le fils de David Olère se souvient clairement de son père évoquant le poids de cette charrette.

Il l’a par ailleurs dessinée (et le K V derrière, ses deux cheminées et la "kleine Postenkette", la chaîne de barbelés et miradors, qui le longe) :

dessin David Olère charrette Birkenau

 

Si l’on regarde de près les ruines actuelles du Bunker 2 et le dessin de David Olère.

Voilà les traces qui restent du Bunker 2 :

Birkenau ruines Bunker 2 photo 2006

 

Photo des fondations du Bunker 2 à Birkenau (en été 2006)
Archives personnelles.

 

 

Les pastilles orange correspondent aux quatre entrées du Bunker 2.

 

Les pastilles vertes sont les emplacements des quatre sorties de ces chambres à gaz.

 

La pastille verte avec une croix (dans l’ombre de l’arbre) indiquerait la porte visible sur le dessin de David Olère.

 

En arrière-plan : le bâtiment du "Sauna" et le camp de Birkenau.

 

Le Bunker 2 était donc constitué de quatre pièces utilisées comme chambres à gaz, chacune ayant une porte d’entrée et une de sortie. D’après R. Höß, le commandant du camp, dans ses Mémoires, jusqu’à 1.200 victimes pouvaient y être gazées à la fois.

On considère donc généralement, comme J.C. Pressac l’a dit le premier, que l’angle de vision du Bunker 2 pour ce dessin était celui que l’on devait avoir lorsqu’on se tenait près des fosses. C’est en effet le seul qui permettrait de voir le pignon (avec la porte) et la façade (côté du bâtiment) ainsi que l’une des baraques de déshabillage sur la droite.

Les dessins de David Olère durant cette période (c'est-à-dire ceux réalisés en 1945) sont d’une précision d’architecte, aucun détail n’est laissé au hasard (on le constatera par exemple avec les représentations intérieures et extérieures du K III), or ce dessin dit "Bunker 2" pose différents problèmes.

Le seul endroit depuis lequel il peut être conçu devrait permettre de voir le mur-pignon avec l’une des portes de sorties des corps, en effet, mais :

* il est difficile de croire que David Olère n’aurait alors pas représenté les rails qui faisaient le tour du bâtiment sur les deux côtés représentés sur ce dessin, fut-ce de façon juste indicative

* les bâtiments visibles dans le lointain qui devraient dans ce cas être les toits du "Sauna" ne pouvaient pas être visibles avant l’automne 43 –mais on peut penser qu’il s’agit de l’automne : arbre sans feuilles, SS avec manteaux longs- mais surtout ils ne seraient pas orientés dans ce sens ni érigés sur une colline. De même il n’y aurait pas une simple clôture de pâture entre le Sauna et le Bunker.

* la façade ne correspond pas : on devrait y voir trois portes (matérialisées par les points verts sur la photo des ruines) et quatre petites ouvertures au lieu d’une (par lesquelles était versé le gaz).

Détail du dessin :  détail dessin david Olère Bunker Birkenau

* la porte visible sous cet angle serait l’une des quatre portes de sortie et non pas une porte d’entrée, or ce dessin représente clairement les victimes nues qui entrent (panneau "désinfection", un enfant et un bébé dans les bras de sa mère, des femmes cachant leurs seins de leurs mains bras croisés)


Le problème de l’intitulé du dessin.

Détail du dessin :


Le plus souvent, David Olère donnait un titre à ses dessins pour en expliciter davantage le contenu informatif, qu’il écrivait sur le dessin lui-même, avec sa signature. Parfois un mot pouvait suffire, souvent une phrase les commentait et complétait. Dans le cas du dessin qui nous occupe, rien n’a été noté de la main de David Olère, ni sur le dessin, ni au verso (comme me l’ont confirmé son fils ainsi que Serge Klarsfeld en tant que premier éditeur des œuvres de David Olère).

Le titre "Bunker 2" a vraisemblablement été attribué par Jean-Claude Pressac. Bien avant moi il a été fasciné par le talent de David Olère et plus qu’intéressé par les informations que donnent ses œuvres du fait de l’extrême précision du dessin dans chacune d’elles. Dans son remarquable travail d’infatigable chercheur –qui a obsédé toute sa vie et nous est si utile aujourd’hui- il commente ce dessin.

Pour expliquer les raisons qui l’ont conduit à penser que ce dessin représentait le Bunker 2, il explique s’être fondé sur :

* les positions des différents éléments les uns par rapport aux autres (fosse / baraque / Bunker) bien qu’ils soient représentés plus proches les uns des autres que dans le réel,

* les positions respectives de la porte et de l’ouverture pour le zyklon (mais JC Pressac n’évoque pas l’absence des autres portes),

* la nature de la baraque sur la droite du dessin (mais les baraques de déshabillage, en 43, étaient identiques aux Bunker 1 et au 2),

* le retrait du mur (mais il note qu’il est inversé).

Avec l’honnêteté intellectuelle absolue qui le caractérise, J.C. Pressac évoque également ce qui ne correspond pas :

*la présence d’une colline (qu’il explique par une volonté artistique à laquelle il me semble difficile de croire dans ce contexte),

* l’orientation de la baraque de déshabillage parce que sous cet angle, on devrait en voir la sortie et non le côté,

* la présence du bâtiment au fond que JC Pressac interprète comme un rappel de l’existence du Bunker 1 (qui était dans une autre partie du camp).

Les éléments qui iraient dans le sens d’une confirmation de ce dessin comme représentation du Bunker 2 ne paraissent donc pas très convaincants, d’autant moins du fait de l’absence des rails, du Sauna et des portes sur la longueur du bâtiment, et JC. Pressac lui-même émet plusieurs contre-arguments.


Mon hypothèse.

Je propose donc de rapprocher ce dessin de ce que nous savons du Bunker 1.

Il faut pour cela regrouper toutes les informations possibles sur ce lieu. Elles ne sont évidemment pas nombreuses. Le Bunker 1 a été le premier lieu de l’extermination organisée comme processus des Juifs à Birkenau (on peut voir la page que je lui ai consacrée sur le présent site en cliquant ici). Il a été en service du début mai 42 à l’été 43 (la date est jusqu’alors imprécise. On sait seulement que les K IV et V étaient alors déjà en service (soit 22 mars 43 pour le K IV et 04 avril pour le K V). Jean-Claude Pressac pensait que le Bunker 1 avait été abandonné au printemps 43 (in Technique and operation of the gaz chambers, p.171) c’est aussi la raison pour laquelle il n’a pas envisagé que David Olère ait pu y être affecté, étant arrivé à Birkenau en mars 43 par le convoi 49. Gideon Greif, l’historien Israélien qui mène inlassablement des entretiens avec les membres des Sonderkommandos survivants, indique quant à lui l’été 43 (in Wir weinten tränenlos) comme date de fin d’utilisation du Bunker 1. David Olère a donc pu connaître le Bunker 1, même s’il ne l’a vraisemblablement vu que très peu, soit en tant que membre du Begrabungskommando soit en tant que membre du Sonderkommando, soit les deux.

Au départ il y avait cette "petite maison rouge" (le Bunker 2 était appelé "petite maison blanche") avec une petite grange à proximité. Deux baraques de déshabillage y ont été ensuite adjointes. Des rails y furent également mis en place pour que les membres des Sonderkommandos amènent les corps vers les fosses qui étaient à distance, dans cette zone assez boisée : la "Birkenwald". Les fosses communes étaient 300 à 400 m à l’ouest du Bunker 1 d’après Moshe Garbarz qui y a été envoyé, en tant qu’électricien, durant sept jours (fin août ou début septembre 42), avec six autres prisonniers extraits eux aussi de ce même commando pour installer l’électricité sur des poteaux près des fosses. Il témoigne de l’époque où les corps étaient enterrés dans des fosses et non brûlés et où il n’y avait que la petite grange mais pas encore de baraques de déshabillage.

Le premier témoignage disponible d’un prisonnier membre du Sonderkommando quant au Bunker 1 est celui de Shlomo Dragon qui, outre sa déposition orale, en a dessiné un plan en mai 45 pour le procès de Cracovie :

 

croquis Shlomo Dragon 1945 Bunker 1 Birkenau

 

Légende :

K1 et K 2 : les chambres à gaz

D1 et D2 : les portes

O1 à O4 : les ouvertures destinées à jeter le Zyklon.

 

On constate immédiatement la présence d’une porte à l’extrémité de la façade et d’une autre en pignon, comme sur le dessin.


Shlomo Dragon, bien qu’il ait été très majoritairement affecté au Bunker 2 (de décembre 42 au printemps 43), nous indique que c’est sur celui-ci que l’inscription "Zur Desinfektion" y était inscrite à l’intérieur, sur les portes de sortie, et qu’à l’extérieur figurait la mention "Hochspannung. Lebensgefähr".

Y. Gutman et M. Berenbaum confirment (in Anatomy of the Auschwitz death camp et d’après les témoignages de Franciszek Gulba et Josefa Wisinka au procès de Höß) que l’inscription "Zur Desinfektion" figurait bien à l’extérieur au Bunker 1 et à l’intérieur au Bunker 2.

Le dessin de David Olère correspond donc de plus en plus clairement au Bunker 1. Il l’a en fait représenté une seconde fois dans son œuvre, à l’angle d’une toile, en voici le détail :

 


La différence majeure est la disparition des bâtiments et des clôtures au profit de la ligne de barbelés électrifiés ceinturant le camp. En fait, dans les deux cas, une explication vient facilement à l’esprit : les bâtiments évoqueraient la partie B III du camp surnommée "Mexico" (qui en fait ne sera jamais achevée) de même que les barbelés typiques de Birkenau correspondraient à la "kleine Postenkette", la chaîne de garde intérieure, indiquant les limites du camp "Mexico", en effet situé à cet endroit, derrière le Bunker 1 et les baraques de déshabillage.

Ce dessin donnerait donc une vue ramassée dans l’espace du Bunker 1 depuis le chemin menant aux fosses.

Le plan ci-dessous, construit avec toutes les données connues et qui paraissent fiables, en donnera un meilleur aperçu et devrait faciliter la compréhension :

plan Birkenau Bunker 1


J’en conclus donc qu’en réalité, contrairement à ce que l’on avait supposé jusqu’alors, le dessin de David Olère qui a été nommé Bunker 2 semble bien représenter le Bunker 1.

Auquel cas, ce serait à ce jour la seule représentation existante du Bunker 1…


[Page mise en ligne en février 2008]
[Merci de ne pas "piller" ce travail, texte et images]